ADAMA PARIS : LE RÊVE AFRICAIN PAR L’ENTREPRENARIAT CULTUREL

« Ma toute première collection s’est façonnée ici au Maroc » Son nom vous dit certainement quelque chose si vous suivez la mode internationale. Si vous êtes passionné par l’Afrique, elle est surement dans votre top dix des femmes qui vous inspirent....


« Ma toute première collection s’est façonnée ici au Maroc »

Son nom vous dit certainement quelque chose si vous suivez la mode internationale. Si vous êtes passionné par l’Afrique, elle est surement dans votre top dix des femmes qui vous inspirent. Adama Paris, c’est le nom de sa griffe dont les premiers croquis ont baladé quelque part, il y a plus de deux décennies, chez des artisans des Oudayas de Rabat pour concevoir une collection de mode qui allait dérouler un beau podium pour un petit empire africain du fashion : Une griffe de caractère, des ateliers vivants, un concept store au coeur de Paris, des agences d’incubation de talents de l’art, une fashion week réputée et prisée, une chaine de télévision, le tout opéré sa ville, le tout imprimé de son identité africaine bien ancrée en tout ce qu’elle est et tout ce qu’elle fait. De grâce et de raffinement, de luxe et d’élégance, légers et authentiques, purement africains, Amanda Ndiaye, de son premier rang du beau chapiteau du Sofitel Casablanca Tour Blanche, a suivi son défilé du Casa Fashion Show, le 19 juin 2021, les pieds bien fixés au sol et l’esprit rêvant à sa prochaine destination de vacances.

 

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« Le Maroc a toujours été très avancé en matière d’artisanat. Comme ma mère est une femme du monde, elle venait toujours acheter sa faïence ici »

  • Une collection colorée, épicée, audacieuse et chic, on sent la touche africaine mais le luxe est bien là, bien visible. C’est une volonté ?

Vous voyez juste, car c’est vraiment ce que je veux montrer dans ma mode. J’aime réussir à mettre Mode, Luxe, Afrique dans la même phrase. Les gens ont tendance à penser que le luxe c’est européen, parisien, newyorkais. Je veux déconstruire ce narratif que l’on nous a longtemps mis dans la tête. Nous les africains, on nous a tellement dit que le luxe c’est Gucci, Fendi, Dior, que le luxe c’est dans les grandes villes, que le luxe ce n’est pas un petit atelier. Je ne fais pas vingt millions de collections, mais chacune de mes capsules sortent de mon atelier à Dakar et elles représentent le luxe. Je suis fille de diplomate. Le voyage est dans mon cœur. Je suis africaine, française, afropolitaine. J’ai vécu à Londres, à Los Angeles et je parle cinq langues. ‘Oui c’est bien du luxe’ dit-on à la torride Madame Adama.

  • Vous vous êtes totalement éloignée de l’ethnique ?

La mode africaine ce n’est pas du bariolé avec du Wax, non. Je refuse d’être l’idée que les gens se font de moi. Je suis bien plus. C’est à travers le luxe que nous avons cette liberté, cette authenticité, cette passion des couleurs, des formes, des odeurs, cette légèreté et cette modernité. Le luxe c’est toujours grave, sérieux, feutré, inaccessible. Pas pour moi! Le luxe africain, c’est léger comme un souffle. Même si je suis africaine, il est important pour nous d’exister dans nos cercles et en dehors de nos cercles. On nous met tout le temps et encore dans des boxes, beaucoup plus que les femmes européennes qui ont elles, gagné en émancipation.

« Le luxe africain c’est léger comme un souffle »

  • Pas de crayon pour vous !

Je ne me définis pas comme une styliste, je suis une entrepreneuse culturelle ! Je ne fais pas que du stylisme. La mode pour moi est un moyen pour raconter des histoires, des convictions, des combats. Je suis autodidacte. Je n’ai pas eu la chance de fréquenter ces grandes écoles de mode, mon papa ne voulait pas ! J’étais banquière, après un DESS de sciences économiques à Dauphine. Mais je ne regrette absolument pas ce parcours, bien au contraire. Cette voie-là m’a permis d’être une femme d’affaire plus qu’une créatrice. J’ai autour de moi tant de personnes talentueuses qui n’ont pas su mener leur business !

  • Le Maroc dans tout cela, vous y venez très souvent visiblement ?

Ah ! Ma toute première collection s’est façonnée ici au Maroc. J’étais étudiante à Paris et ma mère, me conseille d’aller au Maroc ‘C’est juste à côté’. Oui, le Sénégal est dans l’histoire du Maroc et puis avec tout ce qui est entrepris par le Roi. Les sénégalais aiment le Maroc par rapport à d’autres pays maghrébins. ‘Va à Rabat’ m’avait-elle dit’. C’est bien ici qu’a commencé mon histoire d’entrepreneuse dans la mode.

  • Votre maman a une histoire avec le Maroc elle aussi ?

Le Maroc a toujours été très avancé en matière d’artisanat. Comme ma mère est une femme du monde, elle venait toujours acheter sa faïence ici. C’est une femme très instruite, une députée intellectuelle très féministe qui nous a appris l’amour de l’Afrique, l’art du verbe (elle parle comme Molière (rires)), elle a toujours été activiste pour l’Afrique.

« Je ne me définis pas comme une styliste, je suis une entrepreneure culturelle ! »

Amanda Ndiaye, muse de sa griffe Adama Paris, Ambassadrice de la mode africaine, Égérie du luxe africain, Porte drapeau des africaines libres et influentes, pose pour Hola! Maroc dans les salons du Casablanca Sofitel Tour Blanche

  • De fil en aiguille, vous êtes devenue entrepreneure?

J’ai appris à coudre en achetant de vieux habits et en les décousant. J’ai appris sur le tas. Mais j’ai suivi des cours en France subventionnés par la mairie. J’ai appris la coupe, le moulage… D’ailleurs même pour ma chaine télé, j’ai appris le montage, la réalisation… Je suis restée trois mois à Silicon Valley pour essayer d’apprendre comment lever des fonds. J’ai toujours été très curieuse, très entrepreneuse. C’est cela qui m’a permis de multiplier les bagages et les connaissances au lieu d’épouser le snobisme de la mode.

  • Graine de Bourgeoise tout de même !

Ce que vous voyez c’est mon coté engagé et très humain, doublé d’une très grande foi! Je suis musulmane, pratiquante et cela n’empêche rien à ma modernité. J’ai le privilège d’avoir mes parents qui vivent encore (Machaallah), ils m’ont éduquée de telle sorte à ce que je n’aie peur de rien et face à des personnes importantes socialement, je reste moi-même. C’est la foi qui me donne de l’assurance. En priant je me sens mieux. Peu importe où je suis et ou je vais, je suis cette fille éduquée par ses parents dans une religion qui me dit que je suis une femme valeureuse. C’est cet islam soufi que l’on pratique en Afrique subsaharienne.

  • La concurrence est rude dans les métiers de la mode ?

Je ne suis jamais en compétition c’est bien pour cela que je suis une bonne team made. C’est ainsi que j’ai créé Dakar Fashion Week. Tout le monde me disait ‘mais tu crées une tribune pour tes concurrents’. Je ne crois pas en la concurrence. J’ai d’ailleurs même créé une agence pour jeunes créateurs, une sorte d’agent pour leur créer une identité, un marché, des work shops, leur trouver des fonds et in fine à vivre de leur métier. Je suis si fière de cela. Impacter la vie des gens c’est bien plus gratifiant que de me retrouver aux Galeries Lafayette avec des collections.

« Ma première collaboration avec Beyonce c’était pour faire des looks pour un concert en Afrique du Sud »

 

Adama Paris habille Beyoncé pour un clip tourné en Afrique du Sud

  • Mais vous viviez une vie de stars, à Los Angeles aussi ?

Depuis deux années je n’ai plus de maison là-bas. J’allais à Los Angeles quand j’étais étudiante pour faire des petits jobs et c’est là que j’ai rencontré mon premier mari. Je n’étais pas vraiment dans le cercle des stars à LA, j’étais l’épouse d’un basketteur voilà tout ! En fait je fréquente des stars depuis seulement une dizaine d’année seulement. Toutes ces célébrités femmes m’ont contacté grâce aux réseaux sociaux, Alicia Keys, Beyonce aussi.

  • Toute cette influence au féminin, que faut-il pour en avoir encore et encore ?

Le changement de nos conditions de femmes se fera par l’entreprenariat. Les femmes ne peuvent avancer sans qu’elles soient indépendantes financièrement, physiquement et moralement. Quand on est capable de nous payer des choses, on arrive à dire non. Ces femmes-là ne sont pas forcément riches, mais elles ont le choix ! On ne peut donc pas critiquer les femmes qui n’ont rien et qui sont contraintes d’adopter des choses qu’elles n’auraient jamais acceptées si elles avaient un salaire. L’entreprenariat c’est tout simplement créer de la valeur au quotidien, impacter son environnement proche, petite famille, clan, tribu, ville.

Adama Paris monte sur le toit de Casablanca pour Hola! Maroc, résolument la dame qui trône sur les sommets de la mode africaine. La sénégalaise règne sur un petit empire de mode avec une griffe internationale, un concept store de créateurs africains, niché au coeur de Paris, une Black fashion week créée en 2012 et une télé Fashion TV africaine

  • Que pensez-vous des libertés individuelles des femmes au Maghreb et en Afrique subsaharienne ?

Au Maroc par exemple, il y a une image d’une grande modernité mais je reste perplexe quand par exemple au problème de l’hôtel et les restrictions imposées aux femmes non mariées. C’est le poids de la religion certainement. Nous pratiquons un islam plus libre, plus léger et tolérant. Et parallèlement le Roi Mohammed VI a fait un travail exceptionnel pour redonner au Maroc son statut africain. Je ne connais pas Sa Majesté mais j’aime sa façon de gouverner et cet amour qu’il a pour l’Afrique subsaharienne, qu’il a pour les noirs. La première fois qu’un pays maghrébin clame que noirs et blancs sont tous pareils, tous africains. Je voyage beaucoup et je sens le racisme arabo-noir.

« Le Roi Mohammed VI a fait un travail exceptionnel pour redonner au Maroc son statut africain. J’aime sa façon de gouverner et cet amour qu’il a pour l’Afrique subsaharienne, qu’il a pour les noirs. La première qu’un pays maghrébin clame que noirs et blancs sont tous pareils, tous africains »

  • En tant que styliste, quel regard portez-vous sur le style du Roi ?

Très moderne ! J’adore son image cool qu’il dégage en Afrique. J’aime ses vestes, ses bracelets, sa touche très jeune. En Afrique, on plébiscite rarement le Maghreb mais le Maroc l’est énormément grâce au Roi, à son père et à son grand-père.

  • Que vous ont transmis vos parents ?

L’amour des autres. Ma mère vient d’une famille extrêmement riche, mon père d’une famille extrêmement pauvre. Une rencontre peu probable. Ils se sont mariés à 18 et 20 ans et ont aujourd’hui 80 et 82 ans et ils sont toujours ensemble (Dieu merci). Une très belle histoire d’amour les unit, très inspirante. Mon père a pris une belle revanche sur la vie, il était un enfant de la rue et il s’en est sorti grâce à mon oncle qui l’a envoyé en Europe faire des études. Il était diplomate. Ma mère était de l’opposition de Abdoulaye Wade. Mon père était posé et calme, ma mère c’est le feu, toujours à contresens. Avec mes parents, ça parlait tout le temps politique et si tu n’avais pas d’arguments, tu étais bête. Peu importe le sujet il fallait savoir défendre son point de vue. Pour ma mère c’était important d’avoir un avis tranché. Toutes ces valeurs imposées certes, mais sans jamais oublier d’atterrir sur terre, de rester connecté à ce que nous sommes. On revenait souvent de vacances à Paris et on nous ramenait, avec mes frères et sœurs au village. On balayait le sol pendant des heures. Ma mère ne voulait pas que l’on nous voit comme des gens privilégiés, c’est surement pour cela qu’aujourd’hui je peux me passer de luxe. Mais passer du 8è à une résidence de diplomates au village en Sénégal dans notre maison sans électricité et avec des matelas par terre. Ils étaient dingues mes parents !

« Je suis musulmane, pratiquante et cela n’empêche rien à ma modernité »

  • Qui était plus dur d’entre vos parents ?

Ma mère était anticonformiste. Elle nous a donnés une éducation très stricte où elle contrôlait tout. Je me suis réfugiée dans le sport très jeune d’ailleurs. J’étais en division 2 pro de handball. Cela dit, j’ai grandi dans une famille aimante, qui veillait au rituel des repas. Mon père est la fierté de ma vie, il est grand, il est beau, il est noir ! Il voulait que je sois avocate ou banquière, un métier rassurant quoi selon l’époque ! Ceci dit il n’est pas obtu mon papa. Il a changé d’avis à mon premier défilé et n’en a plus manqué un, tout comme ma mère et ma grand-mère. C’est ainsi que nous sommes dans la famille : tu gagnes le respect quand tu montres que ce que tu fais tu sais le faire.

  • Faire de la politique cela vous tente?

rires) Youssou ndour me disait toujours ‘Va te présenter aux élections’. Non, je ne crois pas en la politique. C’est toujours le système qui gagne. Pour changer les choses, il faut combattre le système. Et puis le changement viendra par l’entreprenariat, l’art, la culture. Le changement viendra par des ambassadeurs de toutes ces valeurs. Moi je suis le changement que je veux voir. Tout ce que j’ai créé, je l’ai fais sans le soutien d’aucun gouvernement. J’ai eu une seule fois 100000 euros de Wade. À Paris, à chaque fois que l’on me disait que je ne pouvais faire des choses, je les ai faites. On m’a dit que je ne pourrais pas défiler au Grand Palais, j’ai défilé à la place Vendôme. Fashion TV nous prenait 5000 euros pour 3 min à 4 heures du matin, j’ai dû aller chez Canal apprendre le métier et j’ai créé ma propre télé.

 

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  • Tout cela donne du pouvoir ?

Je pense que ce parcours procure le goût du travail et la valeur de l’argent. Cela permet une légèreté de la vie, ne pas se prendre au sérieux et ne pas s’attacher aux choses matérielles, ni aux marques. En revanche, j’aime voyager, peut-être parce que je suis une fille de diplomate. J’ai fait douze pays avec mes parents et avec mon mari, nous travaillons deux mois et partons en vacances un mois. Les gens croient que nous sommes riches mais en fait chacun ses priorités. Certains préfèrent acheter des voitures et des bijoux, plusieurs maisons et les derniers sacs à main, nous on explore le monde, l’Afrique, Tanzanie, Mozambique. En septembre par exemple on a programmé un voyage au nord du Maroc. C’est notre grand bonheur. À partir de 40 ans, on doit pouvoir vivre sa vérité et ne pas vivre la vie d’un autre.

  • La pandémie a réinventé la mode ?

En 2020, nous avons fait la Dakar Fashion Week dans une forêt de Baobab en dehors de la capitale. Nous n’avons jamais eu autant de journalistes, vingt quatre internationaux, New York Times, The Guardian et pourtant, nous sommes là chaque année, c’est notre façon de vivre, de créer. Je ne connais pas de créateurs subsahariens qui font cinq mille pièces.

« On travaille deux mois et on voyage un mois »

  • L’Afrique cette terre vierge que l’Europe envahit déjà?

Cela dépend. En fait l’Europe s’inspire de l’Afrique depuis longtemps et pas qu’en matière de mode. La pandémie nous a mis à égal avec l’Europe. Je parle de mode éco-responsable mais nous c’est notre vie, j’ai toujours été responsable, je n’arrive pas à faire deux mille pièces de mes robes et je ne veux pas ! Je pratique le slow fashion depuis longtemps, la mode est le deuxième polluant après le pétrol. Avec la pandémie, c’est la première fois que la boutique de Dakar paie pour Paris et puis la télé a heureusement marché, nous couvrons quarante six pays en Afrique.

  • C’est de l’audace au féminin ?

rs dit que j’étais capable de tout faire, consciente de ma différence d’être noire consciente de mes capacités parce que je suis différente et pas le contraire.

Amanda Ndiaye lors de notre interview au rooftop du Sofitel de Casablanca. Adama porte une silhouette de sa dernière collection présentée lors du défilé Casa Fashion Show le 19 juin 2021

Entretien : Ilham Benzakour Knidel

Photos : Anonym Shot

Production : Lydie Janssens

Stylisme : Adama Paris

Un grand Merci au Sofitel Tour Blanche

 

 

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