MARYAM TOUZANI : « JE VEUX RACONTER L’HUMAIN À TRAVERS L’INTIME »

Nabil Ayouch et Maryam Touzani lors de la cloture du Festival de Cannes 2022

Lauréate du prix de la Critique FIPRESCI à Cannes pour son deuxième long métrage « Le bleu du caftan », Maryam Touzani continue son exploration du l’humain et sa quête nostalgique du Maroc d’antan où l’on prenait tout son temps à faire du beau et où les métiers nobles faisaient vivre. Rencontre avec une cinéaste au supplément d’âme. 

Maryam Touzani et Nabil Ayouch sur les marches de Cannes

  • Lors de la première du film, vous parliez du caftan de votre mère qui a plus de 50 ans et qui a été le point de départ du film. A quel moment vous vous êtes dit qu’il était possible de faire un film… ?

Cela a commencé pendant le tournage d’Adam. J’ai rencontré un homme dans la médina qui m’a beaucoup touché. J’ai ressenti des choses dans sa vie dont il ne parlait pas, des choses dans l’ordre du non-dit. J’ai imaginé sa vie, peut-être dans des faux raisonnements mais je sentais qu’il ne disait pas tout. Un homme marié, d’un certain âge. Il est venu semer une graine dans ma tête et il m’a ramené à des souvenirs d’hommes que je voyais sans vraiment voir quand j’étais petite. Des couples dont on parlait, quand le mari est homo, la femme le sait ou le sait pas. Et quand tu es petit, tu entends les choses sans les entendre. Tout ça est resté là, inconsciemment presque. Et puis il y avait ce caftan qui revenait dans ma vie. J’ai toujours été fasciné par ce caftan parce qu’il est tellement élaboré, tellement beau. Un caftan presque intouchable, qu’on ne pouvait pas voir pendant 2-3 ans, qui réapparaissait, qu’elle remettait. Je rêvais du jour où je pourrais le porter. Et le jour où je l’ai porté, j’ai ressenti quelque chose de très puissant. 

  • C’est pour cela qu’il y a une envie de raconter les métiers en voie de disparition ? 

J’ai toujours été sensible à tous les métiers qui disparaissent, à l’artisanat qui se perd. C’est vrai qu’avec le travail de mâalem, la question se posait de la transmission. J’ai commencé à en rencontrer plusieurs et de ce métier qui était en train de mourir. De la douleur que cela leur provoquait. J’ai eu la chance de porter ce caftan mais si ça se trouve, dans quelques années, le vêtement n’existera plus. Il défend un métier que j’ai envie de défendre aussi 

  • D’où vient cette nostalgie d’un temps que vous avez peu connu finalement ? 

Je ne saurais dire. J’ai toujours été comme ça. J’aime tout ce qui est ancien. Tout ce qui a une âme. J’adore les vieux livres. Je peux aller chiner, j’adore ça. Quand je cherche mes décors, c’est pareil. Je cherche toujours des lieux qui ont quelque chose en plus, des objets qui ont vécu. J’ai toujours été attirée par ça. Il y a quelque chose de naturel. C’est vrai qu’il y a quelque chose de l’ordre de la nostalgie et aujourd’hui je me pose la question du pourquoi. Souvent, parce que je sens qu’on est dans une société on l’on va trop vite. Et je n’aime pas aller trop vite, j’aime prendre le temps. Peut-être parce que je suis tangéroise ? (Rires). J’aime observer, j’aime regarder, j’aime prendre le temps tout simplement. Les Frères Karamazov , c’est un plaisir que de livre cet ouvrage même si massif mais j’aime me plonger dans quelque chose. Dans mes films, il n’y pas de portables ou de Tv. Même si c’est contemporain. Mais c’est un choix. 

  • Il y a la notion du temps mais aussi de l’espace. Le huis clos revient dans les deux films, dans des médinas où l’on ne sort pas… D’où vient cette notion de huis clos ?

Le huis clos est pour moi une façon de me rapprocher de mes personnages. J’aime être en immersion avec eux. Me couper du monde extérieur. Ce sont des personnages qui sont ancrés dans une réalité sociale qui va définir qui ils sont, définir leur lutte. Leur évolution. Et ce qui m’intéresse, c’est de voir ce qui se passe à l’intérieur. Cette intériorité me fascine. J’ai envie d’être avec eux. On a le bruit de l’extérieur, on ressent la proximité des voisins. Cette énergie collective où l’on vit tout ensemble. Et puis c’est contraignant parce que l’intimité n’existe pas. Halim vit en cachette, il a plein de choses à étouffer. Et même s’il y de l’intimité, tout est visible par l’autre. C’est cette dualité qui m’intéresse. 

  • Dans le film, la dimension émotionnelle est visible à l’œil nu, tel un personnage. Comment écrit-on l’émotion ?

En la ressentant tout simplement. Quand j’écris mes scénarios en général, je suis dans tous mes états. Je les vis. Je n’écris jamais en réfléchissant. J’écris, j’écris, j’écris. Je ne réfléchis pas les scènes. J’ai l’impression que les personnages ont leurs vies, et que je ne fais que les accompagner. Et j’ai l’impression de découvrir et d’apprendre des choses avec eux. C’est comme s’ils me tenaient la main. C’est très beau. Moi je suis juste à l’écoute. Je suis dans l’émotion pour écrire l’émotion, et ne pas essayer de l’intellectualiser. Dans l’écriture, je sais souvent ce que je veux. Comme ce ne sont pas des histoires à rebondissements, la tension émotionnelle est primordiale et je suis très attentive à cela. Même pendant le tournage. Afin de ne rien perdre de l’émotion. 

Maryam porte un caftan de sa maman, à la découpe rétro et aux finitions traditionnelles

  • Est-ce que beaucoup de choses changent entre l’écriture et le tournage ?

Il n’y a pas beaucoup de choses qui changent. On peut imaginer une scène d’une certaine manière. Et on peut la tourner, et se retrouver avec quelque chose de différent, qui va raconter quelque chose de plus puissant. Je suis très précise dans l’écriture, il n’y a pas en général d’improvisation mais quand il y a des choses qui arrivent, parce qu’elles doivent arriver, je suis à l’écoute. Je ne suis jamais dans la répétition de l’émotion. Jamais. J’aime beaucoup travailler les scènes en amont mais en discutant, pour comprendre. Pas en répétant. L’émotion, j’aime bien l’avoir au moment de tourner. Je vais aller la chercher à ce moment-là. Le spontané. 

  • Comment pensez-vous les acteurs, le casting ? Pour ce genre de personnages, il faut du viscéral, du brut … ?

Je savais pour Lubna. Il y a une puissance et une vérité chez Lubna. Il n’y a pas de demi-mesure. Elle avait envie de ressentir la mort dans son corps. Cette quête de vérité me touche. Pour un réalisateur, c’est un beau cadeau. C’est très rare. C’était un tournage très difficile pour elle, elle a fait face à la mort d’un proche et elle n’a rien lâché. C’est quelque chose de plus fort qu’elle. Pour Ayoub, il avait ce talent, cette passion, ce quelque chose en plus. Pour Saleh, j’ai fait un casting très large au Maroc et dans le monde arabe. A un moment donné, il a été question d’un comédien marocain mais je voulais un investissent total pour ce personnage. Finalement j’ai continué à chercher. J’ai rencontré Saleh et j’ai senti qu’il avait compris le personnage de Halim. Il n’est pas du tout dans la prestation. 

  • Il y a aussi beaucoup de pudeur dans la réalisation, dans les scènes. On ne montre presque rien …

Je voulais être dans l’émotion de cet homme, de ce qui le torturait, de ce qu’il cachait. A aucun moment, je n’ai eu besoin de montrer pour mieux raconter Halim. J’ai écrit les choses comme je le ressentais. Un homme derrière une porte montre plus, que de montrer. 

  • Comment ne pas tomber dans le cliché de la femme qui est dans le déni ? Cette histoire d’amour est bien réelle même si Halim ne l’aimera jamais comme une femme…

Elle le choisit parce qu’elle l’aime. Rien ne l’oblige à être avec elle. C’est quelqu’un de pur et de noble. Ils ont redéfini leur amour, le couple et ils ont réussi à trouver le bonheur. Elle part parce qu’elle doit partir. J’avais envie d’une remise en question de Mina, elle l’a protégé de la société. Comme une mère qui le couve. Et comme une mère au moment de mourir, elle se demande comment le laisser, est-ce qu’il est prêt ? Elle voit, que cette fois-ci il est amoureux. Et elle voit que Youssef est bon. Elle fait un geste d’amour, un dernier geste d’amour en l’intégrant. De laisser son mari heureux, c’est la plus belle chose qu’elle puisse faire. 

  • Le film est construit au fur et à mesure du travail du mâalem. Est-ce que c’était une évidence pour vous ?

J’ai toujours imaginé le caftan traverser le film, qu’il évoluerait en même temps qu’évoluerait l’histoire et les personnages. C’était ce bleu, ce tissu. J’avais envie de passer de cette matière fluide, à quelque chose qui prend forme. Quelque chose de concret. Qui se fait avec les trois. Quelque chose qui se fait à 3 mains. 

CANNES YA MAKAN : MARYAM TOUZANI ARBORE LE CAFTAN DE SA MÈRE

  • Vous devenez la réalisatrice des minorités quelque part …

Ce qui m’anime avant tout c’est l’humain. Je veux raconter l’humain à travers l’intime. J’aime être dans le quotidien de mes personnages, dans les petits gestes. J’aime raconter des personnages avant tout, et à travers un intime. Cela ne veut pas dire que je me ferme à cela. Ou que je n’irai pas en extérieur mais encore une fois je ne rationalise jamais. Je n’intellectualise pas. J’aime avoir le luxe de passer du temps avec mes personnages dans l’intimité. 

NABIL AYOUCH AU PLUS PRÈS DU CINÉMA MAROCAIN

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