Jury de la 19ème édition du Festival International du Film de Marrakech, la réalisatrice Laila Marrakchi a choisi de célébrer le courage des jeunes cinéastes et les gestes de cinéma en décernant des prix pointilleux, sous le regard bienveillant d’un Président au supplément d’être : Paolo Sorrentino et aux côtés d’acteurs et réalisateurs du monde. Rencontre avec une cinéaste de l’image et de l’émotion pour parler des coulisses d’un Jury.
1.En tant que cinéaste à la vision bien précise, réalisatrice aux films viscéraux, comment regardez-vous un film aujourd’hui ? Est-ce le regard de la professionnelle ou de la spectatrice qui l’emporte ?
Je regarde toujours le film en tant que spectatrice. Je regarde un film avec une certaine curiosité et toujours avec une certaine forme d’émerveillement. Comme une adolescente ou une petite fille qui regarde un film ! Après, j’avoue que mes goûts ont changé. Avant j’étais à l’aise avec le cinéma de divertissement. Aujourd’hui, je cherche des films qui me font réfléchir, des films qui me font découvrir de nouvelles expériences, qui sont dans une certaine forme de radicalité. Je cherche autre chose dans l’expérience du cinéma. C’est charnel le cinéma, ce n’est pas intellectuel. C’est avant tout l’émotion qui parle. Sensitif.
2. Est-ce que vous avez toujours eu une idée précise du genre de cinéma que vous vouliez faire ?
« J’aime les tournages, c’est là où est la vie »
Les courts métrages sont un exercice. C’est vrai. Après, quand j’y pense, dans « 200 dhs », c’est l’histoire d’un petit garçon qui veut partir de chez lui, d’aller explorer le monde. Il y a toujours quelqu’un qui part, il y a toujours quelqu’un qu’on laisse. Il y a des thématiques inconscientes qui reviennent, sous des formes différentes. Les courts métrages parlaient de milieux qui n’étaient pas le mien. « Marock » était vraiment un cahier de souvenirs de mon adolescence. Je pense qu’on évolue, que la vie nous fait grandir, nous change. Entre « Marock », « Rock the Kasbah » et maintenant, je ne suis plus la même. Je suis enrichi par plein de choses.
3.Il y a l’image mais il y a l’histoire. Quel est votre rapport à l’écriture, est-ce que vous écrivez tout en amont ou vous permettez vous de cherche et d’improviser pendant le tournage ?
J’ai du mal avec l’écriture. J’aime bien mais je n’aime pas ! (Rires). Ce n’est pas l’étape que je préfère, l’écriture pour moi est juste une base. J’aime fabriquer, filmer, j’aime être avec les acteurs, je suis quelqu’un qui écrit par l’image, c’est là où je me sens le mieux. Les mots, l’écriture me rappelle l’école. J’aime écrire des choses, j’en ai besoin mais à un moment donné, l’écriture scénaristique m’enferme. J’ai l’impression d’être dans une prison et j’aime casser cette prison pour revenir à une intuition première, celle de faire un film. Quand on me demande d’écrire et réécrire, je perds confiance, je m’éloigne de mon intuition première ! C’est vraiment une étape douloureuse pour moi, cette solitude. Aujourd’hui je travaille avec des scénaristes, je préfère écrire à plusieurs, être dans ce ping-pong contant. J’aime les tournages, c’est là où est la vie. Aujourd’hui ça ne m’intéresse pas de filmer mon scénario, j’ai une base et je vois quoi en faire, où je vais pousser les limites, où trouver quelque chose de nouveau. Un jour, on m’a dit quelque chose de très vrai : « On ta paye pour chercher ». Et c’est vrai, on n’est pas censés tout savoir.
4.Vous avez réalisé quelques épisodes de séries à l’image du Bureau des Légendes ou The Eddy`. Comment on s’approprie une histoire qui n’est pas la nôtre, comment vous laissez votre emprunte dans une expérience à plusieurs ?
J’y trouve toujours mon compte, quelque chose de beau. Déjà je sors de mon statut de réalisatrice marocaine. Je ne suis pas juste une réalisatrice marocaine, je suis réalisatrice tout court qui peut raconter des histoires qui se passent en France ou aux Etats-Unis. Je m’attache à l’humain. Je me raccroche aux émotions avant l’identité. On est dans une époque où on ne parle que d’identité. Il faut arrêter avec ça, il faut sortir de son identité parce que l’identité est multiple. Faire des séries a été un vrai affranchissement. Je me suis dit que j’étais capable de raconter des histoires ailleurs, de diriger en français et en anglais.
5.C’est comme cela qu’est née l’envie de réaliser une série ?
Oui et mon documentaire aussi. J’ai eu envie d’explorer la sexualité de femmes casablancaises. On est une belle équipe, on écrit à plusieurs et Sofia Alaoui réalise. Je trouvais que ça avait du sens, elle a l’âge des protagonistes, elle vit au Maroc. C’était important de partager nos regards. Je suis toujours à l’affût de regards authentiques.
6.« Casa Girls » est le prochain projet. Comment on passe de l’écriture d’un film à celui d’une série à plusieurs épisodes ?
J’adore travailler en groupe. L’égo ne m’intéresse pas. J’aime l’effervescence que ça fait. L’avantage des séries c’est qu’on est en collectif. J’aime écrire avec une française et un tunisienne, qui ne connaissent parfois rien à la réalité marocaine. Cela permet de débattre, discuter, aller vers l’universel.
7.Comment donnez-vous naissance à des personnages aussi forts et loin des clichés ?
J’aime les gens ! Je passe ma vie à regarder les être humains, à parler aux gens. J’apprends des gens. J’ai la chance d’être traversée par plein de cultures. De voyager. Depuis que je suis petite, j’observe les gens. C’était mon jeu préféré. Je regarde, je ressens. Et je prends. C’est comme ça que je me nourris.
8.La musique est un personnage à part entière dans vos films. Est-ce que le choix de la musique est présente dès l’écriture ?
Je me pose la question de la musique très tôt dans le processus d’un film, absolument. Je suis en train de changer. J’ai moins envie de travailler de cette manière-là. Je trouve que la musique est trop présente dans mes films. Jeune, la musique était omniprésente et c’est ce qui m’a permis de rêver, d’imaginer. J’écoute de la musique constamment. Aujourd’hui, j’ai envie d’utiliser la musique plus subtilement.