HIND JOUDAR OU LA CULTURE DE LA MODE

« L’arrivée de Zyrieb dans la cour andalouse a révolutionné le monde de l’art et de la mode. On dit que le premier défilé de mode a eu lieu au IXe siècle dans la cour du roi Abderhaman II »

Sage, réservée et imperturbable, elle a osé opérer son premier défilé de caftans au George V et seize ans après, elle pose le podium de l’Oriental Fashion Show au Louvre. Hind Joudar était bien loin de l’univers de la mode. Juriste de formation, la franco-marocaine évolue dans un cabinet d’avocat de renommée à Paris puis se passionne pour le caftan. D’un simple petit défilé pour donner vie à une collection rêvée par sa sœur disparue trop tôt à une passion sans limites pour la mode orientale, traduite dans son livre et à travers son association « La Route de la Soie et d’Al Andalous », qui fait voyager le caftan de l’Afrique du Nord jusqu’en Chine et maintenant sur le digital avec une première fashion orientale virtuelle.

  • Un Oriental Fashion Show virtuel s’imposait en ces temps de crise?

Un OFS en ces temps du COVID-19 me semblait vital, car depuis plusieurs années, l’Oriental Fashion Show n’a jamais manqué les semaines de la Haute Couture parisiennes. Cette année, toutes les manifestations sont annulées, il a fallu maintenir le rendez-vous, mais comment? On a pensé à plusieurs solutions dont la présentation des nouvelles collections en ligne, mais nos designers sont pour 90% d’entres eux basés hors zone Europe et sont encore confinés. Il était ainsi difficile de préparer du contenu à distance pour cette fashion week digital. Je sais qu’il y’a une attente particulière de la part de nos followers et de nos partenaires d’un contenu pour cette semaine de la Haute Couture parisienne, nous avons alors décidé avec l’équipe de communication de préparer une rétrospective sous forme de 5 épisodes à présenter durant cette fashion week avec des interviews live, et des webinars.

  • Apaiser la frénésie éternelle autour de la mode c’est heureux ou triste pour vous?

Quand on travaille dans le milieu de la mode, les journées sont très chargées et on vit à 100 à l’heure, les projets s’enchaînent et il est difficile de s’arrêter. La période du confinement a donné place à une période de réflexion sur toutes les réalisations de notre association et la prise en conscience de l’intensité du travail de ces dernières années, accompli passionnément. Cette petite pause nous a donc permis de comprendre l’importance de notre rôle dans le milieu de la mode internationale et des nouveaux challenges qui nous attendent. 

  • Plus rien ne sera comme avant pour la mode aussi?

Je pense qu’il faut laisser le temps au temps pour comprendre ce qui est arrivé pendant cette période de confinement, il est difficile d’avoir le recul nécessaire pour dire si les choses vont être bouleversées ou seulement transformées. C’est sûr qu’il y’a de nouvelles méthodes de travail qu’il faut mettre en place, développer une nouvelle vision de la mode plus responsable et plus équitable. J’espère que les choses changeront dans le bon sens.

  • Vous faites la promo de plus de 100 stylistes de 50 nationalités, vous êtes un peu la papesse de la mode orientale?

Je ne suis qu’une simple passionnée, j’essaie de me mettre mes compétences au service d’une mode ouverte à tous. La mode orientale a souvent souffert d’une image folklorique, mais, qui a été largement exploitée par les couturiers européens, mais elle n’a jamais été nommée en tant que telle. Par souci de justice, il était nécessaire de lui redonner ses titres de noblesse. En Orient, il y’a des designers très talentueux, mais qui n’avaient aucune visibilité sur le marché internationale de la mode. l’Oriental Fashion Show a été créé pour refléter l’art et le talent de ces designers. L’idée était de les promouvoir tout en sensibilisant le public européen à la beauté de la culture orientale. Le résultat est toujours au rendez-vous.

  • Vous avez commencé au George V et votre dernier show fut magistral au coeur du Louvre. La barre est très très haute…                                                                                                                         

    Le premier défilé a été organisé en 2004 à l’hôtel George V, l’idée était d’associer la mode orientale aux marques de luxe françaises et internationales. Il fallait réunir le savoir-faire oriental et l’art de vivre Européen. L’Oriental Fashion Show, depuis ses origines s’est associé aux hôtels de luxe cinq étoiles (La Bristol Paris, Le Ritz, le Crillon, le Peninsula, Le Raffles, Le Bulgari hotel, le Royal Mansour…). Au fur et à mesure que le projet prenait de l’ampleur, un changement de vision était nécessaire, il fallait passer à une autre étape, celle d’associer, l’Oriental Fashion Show a des lieux chargés d’histoire et de culture, tel que le Louvre, plus grand musée au monde.

– Vous vous attendiez à ce que ça fonctionne si bien alors même que votre parcours est totalement étranger à la mode? 

Effectivement, je suis arrivée à la mode par pur hasard, et par accident même, on va dire. J’ai du travailler dur et chercher sans relâche pour pouvoir en saisir les contours. C’est un milieu qui a besoin d’avoir la tête sur les épaules, car on peut vaciller facilement. Je pense que c’est parce que je ne viens pas du milieu de la mode que j’ai pu garder une certaine objectivité. Mon métier d’origine est résolument une très bonne école pour gérer un projet tel que l’Oriental Fashion Show. 

  • Qui avez-vous contaminé dans votre entourage, votre famille, vos enfants?

La mode, d’une certaine façon a fait partie de l’histoire de ma famille. Mon arrière grand-père était tailleur, il a formé ses enfants dont ma grand-mère, devenue couturière tout comme mes grands oncles qui ont travaillé eux pour des maisons de couture parisiennes comme Dior, Pierre Cardin… Ce furent des métiers de nécessité et non de passion et d’épanouissement. Ma génération, devait donc faire des études et réussir autrement. Quand j’ai commencé à parler de ce projet autour de moi, c’était l’incompréhension totale, « tu n’a pas fais des études de droit pour travailler dans la mode ? ». J’ai longtemps travaillé en secret et en parallèle à mon métier. Ce n’est qu’à la sortie de mon livre que ma famille a découvert ma double carrière. Pendant longtemps, je ne communiquais pas sur mon nom, et personne ne savais qui était derrière le projet Oriental Fashion Show. Mes enfants sont loins de l’univers de la mode. Ils suivent leur propre vocation, ils pratiquent l’art mais dans le domaine musical. Après le conservatoire, l’un joue du piano et fait de la musique assistée par ordinateur (MAO) et l’autre affectionne le violon. En 2016 ma cousine, Rhizlane Samir, qui a la place d’une soeur a rejoint l’Oriental Fashion Show et depuis, nous travaillons toutes les deux main dans la main. Nous faisons évoluer le projet côte à côte, et c’est excellente chose, car nous nous complétons parfaitement. Nous sommes sur la même longueur d’onde sans trop nous parler, ça nous fait gagner vachement de temps.

  • Pour une native de Taza l’appel de Fès l’andalouse sonnera-t-il?

Taza, est un très jolie ville, propre et calme, idéale pour les artistes. Les Fassi et Tazis se ressemblent beaucoup. Ils parlent de la même manière, et ont les même habitudes… ceci s’explique par le fait que beaucoup de familles Fassies, étaient passées par Taza. La cité est considérée par les historiens comme la première ville arabe fondée au Maroc. La médina n’est pas très grande mais, elle a une belle histoire peu connue d’ailleurs. La proximité avec Fez fait que les Tazis s’y rendent souvent pour rendre visite à la famille ou pour faire des emplettes. Moi-même j’y allais souvent, j’étais admirative devant sa beauté et curieuse de son histoire. Plus tard, quand j’ai découvert certaines choses sur ma propre histoire, j’ai voulu avoir un ancrage à Fez, où j’ai actuellement un pied-à-terre. Naturellement, je n’ai pas pu m’empêcher de me projeter dans un projet OFS à Fez, et par un concours de circonstances, j’ai rencontré des personnes avec qui le projet va prendre forme très prochainement.

  • Faites-nous un petit tour à Taza…

Taza, signifie passage en berbère (tizi) ou froid en arabe (Tazaj), Elle est entourée de montagnes qui sont à la croisée du Rif et de l’Atlas. Elles est coupée en deux : Taza Haut, où se situe la Médina, entourée d’une muraille (classée au patrimoine mondiale de l’UNESCO), on y accède par des portes, Bab Zitouna, Bab Tété, Bab Rih, Bab Jemaa…et Taza bas, ville nouvelle construite par les colons français. Taza Haut et Taza Bas sont reliées par des escaliers le long d’une muraille (Drouj babajemaa). Les français avaient construit une base de loisirs entre les deux Taza, accessible aux populations de la médina et de la nouvelle ville. Dans cette base il y avait une très belle piscine qui existe toujours, j’y est passé de bons moments quand j’étais enfant avec ma famille, les cousins et les cousines qui nous rendaient visite. Il y’avait beaucoup de jardins dans la ville nouvelle. Ils ont disparu pour malheureusement laisser place au béton et à la construction, mais elle reste une ville verte malgré tout. Taza est connu aussi pour ses grottes (Friouatou) et la beauté de son paysage montagneux, Ras ELma. Je me rends à Taza tous les ans, je fais un petit pèlerinage annuel, nécessaire à mon âme. J’aime beaucoup cette ville où je me sens tout simplement bien. Les tazis sont des gens très accueillants et de surcroit cuisinent divinement bien. 

  • L’OFS est un défilé de mode mais c’est aussi un pont entre l’Occident et l’Orient, que garde la parisienne que vous êtes de marocain dans sa vie quotidienne.

L’avantage quand on est issu d’une double culture, c’est quand on est fatigué de l’une, on bascule vers l’autre. On finit par développer un chemin de transition d’une culture vers l’autre sans que l’autre en pâtit. Pour ma part, j’ai pu coordonner mes deux cultures, et puis Paris, est une ville propice à l’épanouissement culturel, c’est une ville cosmopolite, ouverte sur le monde, et ce n’est pas pour rien que l’OFS y est né.

  • Le 8 mars vous énerve ou c’est une célébration qui a toujours sa légitimité pour la cause de la femme?

Tout dépends de quel point de vue, on se place. Pour moi le droit des femmes ne peut se réduire à une célébration annuelle, il n’ya pas la célébration du droit des hommes! Hommes et femmes vivent dans le même monde, ils font face aux mêmes problèmes et pressions sociales, et les enjeux du futur vont dépasser le genre homme/femme. Ils doivent se battre ensemble côte à côte pour changer la société dans laquelle ils vivront. Ceci dit, pour les injustices que les femmes subissent de par le monde, une petite journée c’est mieux que rien.

  • N’est-ce pas que la mode a si bien porté le féminisme depuis le siècle dernier, quelle créatrice l’incarne selon vous et pourquoi? 

Je serai tentée de dire Coco Channel, une figure incontestée du féminisme européen, qui est un ensemble d’idées politiques, philosophiques et sociales, cherchant à promouvoir et à définir les droits des femmes et leurs intérêts dans la société civile. Pour ma part, je pense qu’il y a des féminismes et pas un féminisme. Les féministes Arabes n’ont pas la même perception des droits que leurs soeurs européennes car elles n’ont pas évolué dans les mêmes sociétés et n’ont pas la même histoire. Mais, il n’en demeure pas moins qu’elles sont d’accord sur l’essentiel.

  • Votre premier livre s’intitule Les Merveilles du Caftan, donnez-nous des dates importantes de son histoire…merveilleuse…

Le caftan a voyagé au tout au long de l’histoire au gré des échanges commerciaux d’Est en Ouest, il est très difficile de donner cinq dates car il y’en a plusieurs, mais on peut dire que les premières robes-caftans sont apparues, selon les archéologues au IIe siècle avant Jésus Christ, sous la Dynastie Hann, les empereurs portaient des robes cousues en forme de T, richement décorées, description très proche de celle du caftan. Du côté de l’empire perse, on retrouve une robe similaire dans les formes à celle des Hann mais plus longue, dépassant le genou avec des manches plus larges. Les perses vont baptiser cette robe, « Heftan », plus tard « Keftan » pour enfin s’appeler « Caftan ». Après la chute de l’empire romain d’occident en 476, Byzance, devient le centre du monde, les marchandises les plus précieuses du monde y était vendues ou échangées, et parmi elles les caftans qui deviennent les robes impériales par excellence. Al Andalus IXe-XIV siècle où la féminisation du caftan : Les femmes andalouses étaient réputées pour leur élégance et leur raffinement. L’arrivée de Zyrieb dans la cour andalouse a révolutionné le monde de l’art et de la mode. On dit que le premier défilé de mode a eu lieu au IXe siècle dans la cour du roi Abderhaman II. Les femmes on féminisé le caftan et lui ont donné des formes plus sensuelles en utilisant des matières plus fluides et en le décorant de broderies au fil de soie et d’or. Le caftan n’était alors plus l’apanage des hommes. La naissance d’un nouvel Empire a vu le jour au XVe siècle, et va régner en grande partie du monde, de l’Afrique du Nord, jusqu’aux confins de l’Asie centrale. L’Empire Ottoman : Le caftan va devenir devenir un enjeu commercial et diplomatique majeur surtout sous le règne de Suleiman le Magnifique. Son développent dans tout l’empire a laissé des traces aussi bien dans les livres d’histoire que dans la littérature. Le caftan ottoman s’est petit à petit folklorisé vers la fin du XIXe pour tomber presque dans l’oubli suite à la chute de l’empire. Le Maroc où la renaissance du Caftan : Le Maroc a une richesse vestimentaire extraordinaire, et les femmes marocaines sont très soucieuses de leur apparence (héritage andalou). Dans le lot du saroual, la djellaba, le Kamiss, la blousa, le caftan… Seule la takchita est réservée aux femmes, elle est composée d’un kamiss et d’une Mansouria (confectionnée d’une étoffe précieuse en général, soie, dentelle, mousseline…), elle est maintenue à la taille par une ceinture ouvragée. L’appellation Takchitta a disparu pour laisser place au Caftan, à tort, à mon sens car la Takchita fait partie de l’histoire du Maroc et de son patrimoine, et dont le nom n’est partagé avec aucun autre pays, contrairement au caftan qui lui est revendiqué par différentes régions du monde.

  • Mais vous ne portez pas de caftan, ça c’est une histoire…

En fait, je suis arrivée en France à l’âge de 13 ans, je n’avais pas  beaucoup d’occasions pour en porter et je trouvais qu’il allait mieux a une marocaine « pur jus » on va dire. Par contre je porte des Kamiss et des djellabas quand je suis au Maroc et surtout pendant le mois de Ramadan.

  • Vous en mettrez un dans votre valise qui vous mènera d’ailleurs ou pour les 3 ou 6 prochains mois?

J’ai quelques caftans de collection, du Maroc, des Balkans et d’Asie Centrale, ils sont tous différents mais tout aussi beaux les uns que les autres et d’ailleurs les valises de l’Oriental Fashion Show vont encore se poser dans un musée, un autre musée…

Photos : Bertrand Defila / Coiffure : Patrick Doch – https://instagram.com/patrickandmarcel?igshid=mys840002ekc
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