En compagnie de son épouse Priti Paul et de leur fils cadet Jai, l’architecte de renom charismatique et inspiré, nous ouvre les portes de son nouveau palais à Marrakech.
« J’ai La chance d’être assez proche de mes rêves ! »

Quinze ans après leur première apparition exclusive dans la toute première édition de HOLA! Maroc en 2009, Jaouad Kadiri et son épouse, Priti Paul, nous accueillent avec une hospitalité aussi chaleureuse que rare dans son dernier chef-d’œuvre architectural : un palais majestueux où tradition et modernité s’entrelacent harmonieusement. Véritable autodidacte, cet artiste visionnaire, fils d’un industriel de la confection et d’une créatrice de lingerie féminine, continue de magnifier l’artisanat marocain avec une élégance singulière. Toujours installé au cœur de la Palmeraie, à seulement quelques centaines de mètres de son premier palais, le Taj Palace, il semble en parfaite symbiose avec son environnement. Dès l’entrée, un vertige grisant nous saisit face au dôme qui surplombe le séjour principal, révélant un univers où passé et futur, spiritualité et science cohabitent avec une grâce infinie. Une musique mystique enveloppe l’espace, puis une voix chaleureuse nous ramène à la réalité : celle de Priti Paul, indéniable âme vibrante des lieux. Issue de l’une des cinq familles les plus influentes de l’Inde, elle se souvient : « Invitée dans les années 2000 à un événement chez Jaouad, je ne suis plus repartie ! » Deux jours d’interviews et de reportage n’ont pas suffi à capturer l’essence de cette nouvelle Home Story, ni à cerner pleinement l’ampleur de l’œuvre de Jaouad Kadiri. À l’image d’un peintre ou d’un cinéaste, il imagine ses projets comme des rêves, les esquisse avec la précision d’un calligraphe, puis les élève au rang de chefs-d’œuvre tangibles. Sa vie, enrichie très tôt par la découverte des Indes, résonne comme une ode au cinéma, où chaque instant s’écrit avec une créativité empreinte d’harmonie et d’élégance.

- Comment débute l’aventure d’un projet pour vous ?
Cela commence toujours par un rêve. J’ai eu la chance de croiser Stuart Church, autodidacte en architecture et peintre de renom, l’un des derniers et plus grands orientalistes. Il a côtoyé des figures emblématiques comme Matisse à Tanger. Arrivé à Marrakech dans les années 60, à la même époque que Paul Getty, il a découvert l’architecture en réalisant des esquisses pour Bill Willis. Un jour, il m’a confié que la peinture l’ennuyait, car c’était un univers trop petit pour lui.
- C’est tout un monde !
Stuart Church m’a appris à percevoir l’architecture comme un tableau en trois dimensions. Il traduisait l’essence orientale avec patience et maîtrise des volumes. Cette philosophie m’a profondément marqué et guide toujours ma démarche. Chaque projet devient une symphonie de matières et de perspectives.

- Mais qui êtes-vous dans tout cela ?
Né dans une famille où créativité et savoir-faire étaient omniprésents, mon père dirigeait des usines textiles et ma mère fut l’une des premières designers de Tanger dans les années 40, spécialisée dans la lingerie de luxe. J’ai grandi dans un cosmopolitisme empreint d’ouverture et de liberté, nourri d’un souffle inné pour les tissus, les couleurs et les textures. La vie, les rencontres et les voyages ont fait le reste.
« Pour moi le monde de la nuit et des soirées mondaines appartient désormais au passé »

- Comment avez-vous authentifié cet ancrage artistique ?
Mon père dirigeait la Royale Marocaine de Textile. J’ai grandi dans cet univers, réparant même les machines à coudre. J’ai étudié le textile en Belgique dans l’une des meilleures écoles. Cet univers a fusionné avec celui de Stuart, qui évoluait avec les volumes.
- Parlez-nous de cette rencontre.
J’ai connu Stuart grâce à la famille Akaaboun à Tanger. Nous parlions sans arrêt, avons même collaboré. Après mes études, j’ai voyagé, vécu au Brésil, en Indonésie et en Inde, pays que j’ai découvert très jeune et où nous faisions des retraites de trois mois. Nous ne nous sommes jamais quittés durant trente-cinq ans, jusqu’à sa mort.

- Vous êtes parmi les premiers à avoir entrepris à Marrakech ?
Le premier d’une lignée comprenant Omar Benjelloun, la famille Crop, Yves Saint Laurent, Pierre Bergé ou encore la princesse Ruspoli. La ville comptait quelques maisons, deux ou trois restaurants. Concernant les riads, c’est Paul Getty qui a ouvert le bal. J’avais 20 ans ! À 28 ans, j’ai construit ma première demeure, que j’ai vendue à Ali Bongo.
- Quels enseignements avez-vous tirés de votre parcours au Louvre ?
Le Louvre a été une consécration de ce que je savais déjà. Mon professeur, qui n’avait été qu’une fois en Inde, expliquait que j’y étais allé 30 fois, que j’y avais vécu et construit des lieux. Je suis un autodidacte pur et dur.

- Que représente ce palais pour vous ?
Bien plus qu’un projet, une déclaration. Chaque détail raconte une histoire, celle d’une vision marocaine intemporelle mais évolutive. La modernité, c’est le mélange des cultures. Ce lieu met aussi en lumière les talents qui m’accompagnent depuis des années.
- Priti, comment conciliez-vous votre culture indienne et l’âme marocaine de cette maison ?
Notre demeure est une fusion de cultures marocaines et indiennes. Ces deux traditions partagent des valeurs communes : générosité, amitié, respect des anciens. Chaque année, nous recevons près de 1000 invités indiens, veillant à leur offrir une hospitalité authentique.

- Vous évoquez l’architecture islamique. Quelles sont ses valeurs ?
À l’École du Louvre, l’archéologie m’a éclairé sur l’architecture. J’ai approfondi l’architecture islamique, où l’ornement et les volumes remplacent les angles. J’y mêle influences marocaines, bouddhistes et hindoues, intégrant une dimension spirituelle.
- Vous croyez à l’intervention du divin dans votre travail ?
En partie. Je suis croyant et considère cela comme un don, mais c’est aussi un travail difficile. Avec Stuart, c’était un apprentissage constant basé sur la patience. Parfois, je travaille dix-huit heures d’affilée sans m’en rendre compte.
- Pourquoi la “moroccan touch” n’est-elle pas omniprésente dans votre œuvre ?
Un patrimoine qui n’évolue pas régresse ou disparaît. L’histoire du Maroc est sa force. L’Andalousie en est un parfait exemple. Les Omeyyades incarnaient une vision ouverte et raffinée, tandis que les Abbassides ont introduit une dimension plus militaire. L’équilibre entre tradition et innovation est essentiel.

- Quelle part représente l’artisanat dans votre œuvre ?
Essentielle. Je travaille avec des mâalems depuis des décennies. Certains ont hérité du savoir-faire de leurs pères et grands-pères. Ce sont des gens extraordinaires humainement et professionnellement.
- Ressentez-vous vos racines andalouses ?
Inévitablement. L’Andalousie est omniprésente : architecture, Zellij, poésie, étoffes, parfum. Un héritage infiniment riche.
- Quels endroits affectionnez-vous le plus ?
Je suis profondément marocain, mais j’aime l’Inde, l’Indonésie, le Brésil, bien qu’il y soit difficile de vivre en sécurité. Tanger reste dans mon cœur. Chaque quartier y était un monde en soi.
- Comment vos enfants vivent-ils leur biculturalité ?
Nous n’avons jamais imposé de choix religieux. Ils ont trouvé leur propre chemin. Jad vit à Dubaï et fait la prière d’Al Fajr. Priti ne se pose pas de questions. J’ai visité plus de temples qu’elle ! Nous leur avons offert la liberté d’être eux-mêmes.

- Une anecdote marquante sur vos invités ?
Jaouad : Le roi Salman d’Arabie Saoudite voulait marier sa fille à mon fils Jad. La liste des personnalités que j’ai reçues est longue.
Priti : Chaque rencontre est unique, nous veillons à offrir une expérience mémorable à nos invités.
- Vous souvenez-vous du reportage sur HOLA ! Maroc il y a quinze ans ?
Priti : Une expérience magnifique, empreinte de respect et d’amour, capturant la romance et les rêves qui définissent notre histoire.
Jaouad : J’ai été classé parmi les dix créatifs de la planète par Vogue Homme ! Passionnée de lecture, Priti a fondé en 1992 la bibliothèque Apeejay Anand en hommage à son frère défunt.

- Qu’est-ce qui a changé en quinze ans ?
Priti : Nos enfants sont devenus de jeunes hommes ouverts au monde, enracinés dans nos cultures.
Jaouad : J’ai laissé derrière moi le monde des soirées mondaines. J’ai traversé une phase d’illumination en Inde, mais ma foi en Dieu est aujourd’hui plus forte que jamais. Peu importe où l’on me place, je sais recréer un monde en trois dimensions. J’ai réalisé mes rêves et j’ai cette chance d’être encore assez proche d’eux.
