Un visage souriant, une silhouette qui arbore une tenue en pagnes wax, une femme qui s’enturbanne avec classe, c’est Samia Orosemane qui s’approche vers nous avec son look coloré et un charisme inégalable. C’est dans une terrasse ensoleillée aux couleurs africaines, au sein de l’hôtel Onomo City Center, que l’artiste nous a donné rendez-vous.
Après avoir achever sa tournée africaine et avant de continuer sa tournée mondiale prévue à la rentrée, l’humoriste franco-tunisienne nous accorde une interview exclusive . Découvrez sans plus attendre cette personnalité pétillante.
Vous vous êtes fait connaître en imitant les accents et dialectes de plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest…Quel est le secret pour jongler avec autant d’accents ?
Lorsque l’on me demande si j’ai grandi en Afrique, je réponds toujours « oui dans le 93 ». En tant qu’enfants d’immigrés, lorsqu’on les fréquente, nous voyons plus vite la différence. Les camerounais, par exemple, tirent sur les mots… Les sénégalais, ils parlent en saccadé, les maliens quand ils discutent, ils sont toujours très souriants et voire un peu timide, les ivoiriens surtout les ivoiriennes ont du caractère, du tempérament, elles sont très exubérantes et elles s’affirment, elles s’imposent, elles ont du charisme et du bagou… Je les admire beaucoup pour cela car je suis incapable d’envoyer promener quelqu’un.
Je dois avouer que j’adore particulièrement jouer l’ivoirienne sur scène quand je pars en impro avec mon public et qu’il y a quelqu’un qui essaie de mettre le bazar dans mon spectacle. Je vais toujours prendre sa voix pour remettre quelqu’un à sa la place ! C’est une maman, elle se fâche et quand elle te parle tu ne peux plus rien dire, tu es obligé d’obéir donc je dis au spectateur « Tu as dit quoi ? Tu vas faire quoi ? depuis tout à l’heure-là tu parles comme ça y’a quoi ? y’a quoi ? tu parles là jusqu’à demain jusqu’à fatigué. Y’a pas le droit d’faire mon travail là non ? voilà ! »
Comment faites-vous pour interpréter tous ces personnages ?
J’aime profondément les gens et je les observe beaucoup. En les observant, on arrive à déceler les tics de langages, les manières de se comporter, les mimiques. Un jour mon papa, paix à son âme, m’a dit « moi je ne comprends pas, tu te moques d’eux et eux, ils rigolent » , j’ai dit c’est ça que tu ne comprends pas c’est que je ne me moque pas, imagines demain il y a un asiatique qui vient te voir et qui te dit le tunisien il y a ça dans sa culture il est comme ci, il parle comme ça, le marocain il est comme ça, l’algérien comme ci…tu ne vas pas dire « mais comment il sait ça n’a rien à voir avec sa culture ? comment il connaît ? » eh ben c’est parce que tu t’y intéresses et que tu les aime tellement que tu arrives à les reproduire. Les ¾ des humoristes issus de l’immigration, quand ils commencent en France, ils parlent de leurs parents d’abord. Pourquoi ? Parce que ce sont les personnes qu’ils aiment le plus au monde. Eh ben moi je parle de l’humain quel qu’il soit car j’aime l’humain profondément donc les rencontres que je fais, tous les profils que je croise, j’essaie de les reproduire, j’essaie de les imiter je saisis un peu les subtilités de chacun et c’est ça qui fait rire les gens. J’essaie de le faire avec justesse et apparemment ça à l’air de fonctionner ! (rires)
Pourquoi avoir nommé votre spectacle « Je suis une bouffonne » ?
Parce que dans la vie de tous les jours je suis incapable de dire non. Donc souvent on me dit « T’es vraiment une bouffonne ! » parce que tu préfères te faire mal à toi qu’aux autres donc on te demande des services mais des fois ça t’embête, tu n’as pas envie mais tu ne sais pas dire non… dans ta tête tu dis non mais ta bouche elle dit oui…
« Je suis une bouffonne » c’est un hommage à l’éducation que nos parents nous ont donnée, celle qui nous rends incapable de refuser ou de faire du mal à quelqu’un. On préfère se faire du mal à soi-même et s’imposer des choses. Il y a une expression au Maroc « kelmat la matjib bla » qui veut dire que le mot « non » ne ramène pas de problème c’est juste nous, qui nous mettons la pression.
Vous vous produisez régulièrement au Maroc pour des shows humoristiques dont le MDR, l’Afrique du rire… C’est un pays qui vous tient à coeur ?
Le Maroc m’a donné ma chance avant la Tunisie qui est mon pays d’origine. On dit « nul n’est prophète en son pays » et c’est un peu ça. Par exemple, les premières fois que j’ai joué en Belgique, c’est la communauté marocaine qui m’a reçue. J’ai joué pour les orphelins du Maroc, les associations caritatives avec le Maroc…De plus, j’ai deux sœurs qui se sont mariées avec des marocains dont l’une des deux, c’est moi qui lui ai présenté son mari. A croire que je suis marieuse à mes heures perdues (rires) comme ça si le spectacle ne marche pas je pourrai me reconvertir en entremetteuse, j’ai déjà 3 mariages à mon actif !
En ce qui vous concerne, côté mariage, vous semblez rester très discrète…
Je suis mariée avec un martiniquais depuis presque 20 ans. D’ailleurs, Nous fêtons notre 20e année de mariage cet été et j’ai hâte ! Si je n’ai jamais affiché son visage sur les réseaux sociaux, c’est pour nous protéger et aussi parce qu’il est trop beau gosse ! Déjà que je fais son éloge tout le temps en disant qu’il fait le ménage, les courses, la bouffe… C’est un Will Smith version muslim donc si je le montre, on me le piquera ! (rires)
Vous êtes si discrets que nous ne savons pas si vous avez des enfants…
Je n’en ai pas encore eu… C’est un sujet dont je parle justement sur scène. Dans mon nouveau spectacle, je raconte le parcours de la PMA (procréation médicalement assistée) car nous sommes de plus en plus nombreuse à avoir des difficultés à enfanter. Bien que cela fasse du bien à certaines, parfois cela choque les gens car ils ne m’imaginaient pas dans ce combat. Bien sur, mon spectacle est sans vulgarité ni insultes, il s’agit d’un spectacle familial que j’ai pu rendre accessible même aux enfants. Je parle de la petite graine du papa de la petite graine de la maman, ils comprennent c’est bien, ils ne comprennent pas ce n’est pas grave mais au moins le message passe et je transmets. Je transmets nos douleurs, nos souffrances, nos espérances et au final ça fait du bien à toutes ces femmes qui vivent la même chose et qui n’osent pas en parler.
Vous vous considérez comme une femme européenne, tunisienne, marocaine… ?
La vérité ? Je n’ai pas trouvé ma place, j’ai l’impression d’être une citoyenne du monde. J’ai un peu pris de chacun, j’ai une éducation typiquement française mais avec une sorte d’orientation tunisienne car ma maman et mon papa sont tunisiens. Mais quand je vais en Tunisie, je suis en décalage, quand je vais en France, je suis en décalage. Je suis un mélange de plein de choses et je m’entends bien avec toutes les cultures, je trouve qu’il y a du bon à prendre dans chacun.
Et vous, quelle genre de femme êtes-vous dans votre vie privée ?
Dans ma vie privée ? Ce n’est pas moi qui commande, je n’en suis pas capable ! Je suis une tornade, c’est lui qui fait le ménage, les courses, la bouffe, c’est lui qui râle en disant « respecte mon travail » parce que je mets le bazar et qu’il n’est pas content. Je reste pour autant une femme très indépendante qui n’a pas besoin de permission pour aller jouer à l’autre bout du monde. Lui, il m’encourage, il me porte, il est fier de ce que je fais même si ça lui coûte de me laisser partir, car on ne se voit pas beaucoup. Il a toujours les yeux qui brillent car il voit mon parcours, il voit ce que j’apporte. D’ailleurs, il a assisté récemment à mon spectacle en région parisienne et il m’a laissé un message vocal en me disant « C’est puissant ce que tu dégages sur scène, tu es incroyable et je suis fier ».
On constate que trop peu de femmes maghrébines arrivent à percer dans le secteur humoristique…Selon vous, pourquoi ?
Ce ne sont pas que les femmes maghrébines mais ce sont les femmes en général. Sur les plateaux d’humour qu’il y a en France, généralement les ¾ sont des hommes, il y a quelques fois une femme sur un plateau et d’autres fois aucune. Il y a une femme humoristique qui s’appelle Caroline Vigneaux, qui a créé un groupe avec toutes les filles humoristes pour toutes les répertorier car à chaque fois que l’on demande pourquoi ils n’invitent pas de femmes, ils répliquent qu’ils n’en connaissent pas, qu’il n’y en a pas… Donc on a fait un fichier qu’on a complété et il y a à ce jour peu près 200 femmes professionnelles de l’humour en France !
Désormais, à chaque fois qu’une personne nous demande s’il y a des filles humoristes, on transmet ce fichier. Je pense que ce sont vraiment les producteurs qui posent problème car ils ne misent pas sur les femmes, ils s’imaginent, peut-être inconsciemment, que les femmes ne sont pas drôles alors que les salles sont remplies aux ¾ par des femmes.Ce sont des clichés, des idées arrêtées.Ce sont les femmes qui traînent de force leurs maris pour aller voir des spectacles. Plus il y aura de femmes sur le devant de la scène et plus les salles se rempliront donc il faut, justement de plus en plus de thématiques qui touchent les femmes.
Souvent la femme humoriste est cataloguée…
Si tu savais, le passage sur la procréation médicalement assistée, je l’ai joué à Montréal (j’ai fait 3 dates au Canada) et après la date à Montréal il y a un spectateur maghrébin qui a mis un commentaire « le spectacle était drôle, il y a de superbes punchlines en revanche je ne suis pas sûr que votre expérience de la PMA ait sa place dans un spectacle d’humour » car dans ce passage il y a un petit moment triste. Je suis désolée que ça puisse heurter la sensibilité de certains, que mes souffrances puissent déranger qui que ce soit mais je vais continuer à en parler parce qu’il y a des femmes à qui ça fait du bien, parce qu’il y a des gens qui me comprennent et parce que ce n’est pas un sujet qui est réservé à la femme. En fait, il y a plein de sujets que je me suis interdite d’aborder parce que je ne voulais pas rentrer trop dans l’intimité mais les examens que nous faisons, l’homme et la femme, sont complètement différents et il est important d’en parler sans tabous !
Comment voyez-vous l’avenir du Maghreb ?
Je pense que si on fait tous un travail d’éducation avec les générations qui arrivent, peut être que ca peut changer mais pour ça il faudrait que chacun prenne conscience de ce qu’il se passe et qu’il éduque ses enfants pour un avenir meilleur. Parce qu’en vérité si le Maghreb était uni aussi bien que l’Europe, on serait capable de tellement de choses et même l’Afrique entière. S’il y avait une Afrique unie on serait les rois du monde, malheureusement chacun pense à son petit confort, c’est vraiment dommage.
Quel est le rôle des femmes politiques pour réussir là où les hommes politiques ont lourdement manqués ?
Je pense qu’une femme à la tête de l’état, quelle qu’elle soit, ne peut apporter que de bonnes choses car c’est elle qui met, quand même, au monde l’humanité et c’est elle qui gère dans tous les foyers en réalité. Car on a beau faire croire tout ce qu’on veut… même les Chefs d’états africains quand ils se réunissent, avant de se quitter, ils disent « on en rediscute demain, la nuit porte conseil » la nuit c’est sa femme, il va aller demander l’avis de sa femme et puis le lendemain il va dire « j’ai bien réfléchi hummm et puis finalement je trouve que ce n’est pas forcément une bonne idée… » (rires) C’est comme ça que ça se passe, on le sait tous ! Dans tous les foyers, ça se passe comme ça aussi ! (rires) Comme on dit « Derrière chaque grand homme, se cache une femme », c’est une jolie façon te dire que c’est elle, en vérité, qui gère, c’est elle qui tire les ficelles !
Mais par rapport aux dernières élections françaises…
On a eu de la chance que ce ne soit pas une femme qui ait gagné ! (rires) Mais honnêtement je ne me suis jamais intéressée à la politique. Je me dis on n’est pas là pour longtemps, on va bientôt mourir, autant s’occuper avec des choses intéressantes, et moi, c’est l’humain qui m’intéresse… Je suis dans mon monde, dans ma bulle.
Être une femme maghrébine en Europe, cela inspire ou évoque quoi en 2022 ? une 5ème génération ?
Je trouve que c’est compliqué car les modèles de réussite maghrébin ne sont pas forcément valorisant. Personnellement, on m’a fermée beaucoup de portes car ce que je représente, peut faire peur…je porte un foulard sur la tête et je suis aux antipodes de ce qu’on imagine de la femme voilée. Selon eux, la femme voilée est enfermée, recluse dans sa cuisine, elle n’a pas droit à la parole, elle est discrète…je suis un peu tout l’opposé de ça. Les modèles de femmes maghrébines que nous avons c’est soit la maghrébine politicienne qui a vendu ses principes, son éducation et tout ce qu’elle est pour s’aliéner et s’assimiler…on a eu quelques exemples, elle oublie qui elle est car elle veut qu’on l’accepte. Ou alors il y a Zahia ou Nabilla (rires) des filles qu’on met en avant pour des choses qui ne sont pas trop valorisantes.
Avez-vous déjà ressenti à titre personnel cet amalgame en France ?
La première fois que les journalistes sont venus me chercher, c’est parce que j’avais fait une vidéo sur les attentats de Ottawa qui a été repartagée au moment des attentats de Charlie Hebdo donc je parlais des « islamistes djihadistes salafistes pianistes cyclistes » à qui je demandais de choisir une autre religion car nous on est fatigué maintenant. Cette vidéo a fait beaucoup de buzz et on m’a invité sur tous les plateaux TV et radios, je me suis retrouvée à passer sur RFI, France Inter, chez Ardisson… et chez Ardisson, quand il m’a présentée, il a noté « l’humoriste voilée en bas de l’écran »Je suis devenue « Miss Attentat ». J’avais l’impression d’être la femme à barbe ! Quand il invite Gad Elmaleh on ne dit pas « l’humoriste juif », ou quand il invite Anthony Kavanagh on ne dit pas « l’humoriste noir qui a des locks ».
Comment le vivez-vous ?
D’être constamment cataloguée en fonction de ce qu’on représente, au bout d’un moment c’est usant, je ne suis pas un foulard sur pattes ! J’ai plein de choses à raconter, j’ai tout un univers que j’apporte, j’essaie de dédramatiser des situations, je parle de pleins de sujets mais on me cantonne à ce que je suis censée représenter. Donc je me suis retrouvée à faire le tour du monde est à ne plus forcément beaucoup jouer en France car je n’ai plus envie. Comme, par exemple, je me retrouve à Abdijan et que je fais l’émission Burger Quizz et que je balance les photos sur internet, on me dit « ah génial tu as fait le burger quizz c’est une superbe émission en France » oui mais je l’ai faite à Abidjan, pas en France. Ici c’est pareil, on m’invite sur NRJ Maroc, pas en France…Comme-ci c’était incompatible, en fait on n’a pas le droit de rigoler quand on porte un foulard, tu as un bout de tissu sur la tête et c’est fini ! (rires)
Entretien et directrice de production : Lydie Janssens
Photographe : Lucie Chopart
Assistante de production : Salma Mouzahir
Un grand merci à Omar de Logiq Digital pour cet entretien exceptionnel.