ASGHAR FARHADI : « L’ERREUR EST DE PRÉTENDRE À L’UNIVERSALITÉ D’UNE HISTOIRE »

Le cinéaste de l’humain, des grands questionnements de l’humanité, celui qui titille les consciences, l’Iranien Asghar Farhadi offre une conversation débordante d’humanité et d’humilité à la dernière édition du Festival International du Film de Marrakech. Il commence par une intervention sur le processus d’écriture aux Ateliers de l’Atlas avant de proposer une conversation avec des plus enrichissantes. 

 

Avant chaque intervention, le réalisateur Asgar Farhadi commence  en ayant une pensée pour son peuple et les Iraniens qui se battent pour la liberté. « Je suis rempli de tristesse, d’inquiétude mais aussi beaucoup d’espoir. Je suis sûr que cette lutte aboutira et je garde beaucoup d’espoir pour l’avenir ».

 

La genèse d’un cinéaste de l’humain

Il a commencé la réalisation très tôt. Il a commencé la réalisation à l’âge de 13 ans. L’histoire de deux amis qui trouvent un transistor. La joie laisse place au conflit : « Qui doit garder ce transistor ». Ils ont fini par une garde alternée mais le souci c’est qu’il y a une émission tous les soirs et qu’aucun d’entre eux peut suivre puisqu’un jour sur deux, l’un d’entre eux ne peut pas voir. De là est né le fil conducteur de tous les films, le dilemme, l’entre deux, la question de qui on souhaite voir gagner, réussir, y arriver.

 

« Le cinéma que j’aime en tant que spectateur ou réalisateur, c’est le cinéma qui reste dans un rapport démocratique avec son spectateur, un cinéma qui ne lui impose pas sa façon de penser ». Le réalisateur revient sur les prémisses du cinéma où le cinéma était divertissement et le regard du spectateur restait admiratif, d’une nouvelle technique proposée. Cette relation verticale a changé au fil du temps puisque le spectateur s’implique davantage aujourd’hui. Il prend part au jugement. « J’essaye de me retirer de la position de jugement. J’essaie encore de la faire au fur et à mesure de mes films. Je n’ai pas encore totalement réussi ». Le réalisateur revient à cette scène emblématique d’ouverture d’Une Séparation où la caméra scrute un couple à la fin de l’amour. Ce sont les yeux du spectateur qui regardent et donnent leur point de vue sur le début du film.

 

Dès les premiers films, l’ambiance quasi documentaire du film montre une maitrise de la mise en scène du réalisateur iranien. Asgar Farhadi explique que c’est facile d’avoir une atmosphère réaliste et de jouer sur le côté documentaire techniquement. Le plus difficile est d’installer un enjeu dramatique.

 

Le cinéma du questionnement et du danger potentiel

« On pourrait croire que la répétition est source d’ennui mais elle peut être source d’angoisse et de suspense ». Le réalisateur explore les émotions, l’angoisse, les questions existentiels. Il va au plus profond de l’âme et se questionne sur le bien et le mal. La tension est toujours là même dans des moments de légèreté. Il vient de la tension permanant en Iran, inconsciemment peut être mais c’est toujours là. Dans le film « A propos d’Elly » qui lui donne la reconnaissance internationale, la tension est là dès le départ. « On accède à la vérité d’un personnage quand elle est en situation de crise. C’est en situation de crise que l’on rencontre les gens, que l’on sait qui ils sont vraiment ».

 

Il rappelle un proverbe iranien qui dit « Si tu veux connaitre ton ami, voyage avec lui. C’est le symbole de l’inconnu, de la crise perpétuelle ».  Pour le réalisateur, sans crise, il est difficile d’accéder aux sentiments et à la psychologie des personnages. C’est pour cela qu’il n’a de cesse de placer ses personnages dans des situations de crise et de conflits. « L’importance du son est une chose que j’ai compris au fur et à mesure de la fabrication de mes films. Le spectateur fait attention à l’image mais il se lasse à un moment. Le spectateur fait moins attention au son mais inconsciemment c’est une autre histoire ». Dans la fête du feu, les feux d’artifice et pétards créent l’ambiance inquiétante, dans « A propos d’Elly », c’est la mer et le bruit des vagues. « Le son se réfléchit dès l’écriture, on choisit les sons hors champs dès l’écriture, pas à la post production ».

 

Une séparation : succès absolu

 

Le réalisateur ne s’attendait pas à un tel succès. Quand il fait lire le scénario, tout le monde lui dit que c’est un film pour les Iraniens et pour l’Iran, qu’il ne sera compris pour personne d’autre. « Je pense qu’aucun réalisateur ne s’attend au succès et à la réception d’un film » explique Asghar Farhadi. Pour lui, le début et la fin d’un film sont primordiales. C’est un puzzle. Et chaque projet doit avoir un début et une fin. La fin reste sur la décision de cette adolescente qui doit choisir entre le père et la mère : « Je donne la parole à ces jeunes femmes qui doivent avoir le choix de penser et de prendre leurs propres décisions dans la société ». En parlant d’une scène du juge dans le film où la caméra est proche de la chemise du personnage, le réalisateur revient sur l’écriture de la scène. Il pensait à plusieurs plans, une scène très travaillée. Mais sur le tournage, cela a changé. Les acteurs ont donné une autre mouvance à la scène.

 

Après le succès, le réalisateur avoue avoir de la chance d’avoir le choix sur les acteurs. « Avant quand je ne répondais pas à un email, on disait que j’étais occupé. Avec le succès, quand je ne réponds pas, on me dit que j’ai la grosse tête » s’amuse le réalisateur.

 

Asghar Farhadi relève le défi de réaliser un film français : le Passé. Pour lui, la langue n’est pas un obstacle. L’émotion passe malgré cet obstacle-là. « Je viens d’un peuple qui revient constamment sur le passé, c’est dans notre culture ». C’est une confrontation entre le passé et une culture tournée vers l’avenir.

 

Dans « Le client », le réalisateur donne un nouveau tournant à sa carrière et une nouvelle orientation à sa façon de fabriquer des films tout en gardant son emprunte. Il suit un couple d’acteurs qui vivent une situation de la vie. Le réalisateur s’intéressait à brouiller les pistes entre le théâtre et la vie. Ces acteurs restent presque dans leurs rôles quand ils reviennent à leur quotidien. « Cela m’intéressait beaucoup d’explorer ces frontières ».

 

Dans « Todos los saben » où le réalisateur revient à l’étranger, en Espagne pour filmer l’intime avec Penelope Cruz et Javier Bardem. Le film commence à l’image de « A propos d’Elly » avec une fête, de la légèreté, de la musique, de la danse. Mais on sent la tension à chaque fois, comme quelque chose de sous-jacent. Un film où l’on sent la touche du réalisateur malgré l’Espagne. « Je me sentais à la maison en Espagne, c’était pour moi très familier : les gens, les familles, l’atmosphère ».

 

Le réalisateur travaille sur les actes, les répercussions des décisions sur la vie des individus. Quel que soit la nationalité ou la culture. Un proverbe cubain résume bien le film : « Nous ne savons pas de quel passé nous venons ». Une des raisons pour lesquelles le réalisateur est ancré dans son passé et son présent. Il raconte des histoires qui durent dans le temps, comprises de tous. Pourtant il ne pense jamais à l’autre ou à l’universel. Il se raconte et raconte ce qu’il voit. « Ma préférence c’est de toujours faire des films dans mon pays. C’est ce que je souhaite faire. Mais pour des raisons diverses, j’en fais à l’étranger. Ce n’est jamais un choix qui soit de ma propre volonté ». Le réalisateur rappelle que ce n’est qu’en assumant son identité et son histoire locale qu’on accède à l’universel. « L’erreur est de prétendre à l’universalité d’une histoire ».

 

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