SOFIA ALAOUI UNE GOLDEN GIRL DU CINÉMA MAROCAIN?

Blonde aux yeux bleus, plutôt mince, on la prend souvent pour une actrice. Mais Sofia Alaoui soulève bien sa caméra avec force et détermination et lève avec, beaucoup de tabous, liés aux métiers de cinéaste et très ancrés dans les sociétés arabes. La jeune marocaine est Réalisatrice, Scénariste, Directrice de la photo, Ingénieure du son, Productrice et son dernier court-métrage « Qu’importe si les bêtes meurent » signe déjà de nombreux prix dont celui du festival américain Sundance. En sélection Officielle des César, Sofia Alaoui est bel et bien dans la course aux Oscars. Son film inscrit sur la plateforme de vote des membres de la prestigieuse Académie, pourrait en gagnant un prix, être le tout premier film marocain honoré de la fameuse statuette dorée. Une golden girl à suivre de très près.

  • Qu’importe si les bêtes meurent, quel succès, beaucoup de prix… virtuellement, l’émotion est différente?

Oui clairement différente, on vit les choses avec distance, loin du public et des sensations d’après-projection. Mais avoir des appréciations, des petits messages, cela fait plaisir. La grande émotion il faut dire, est celle du public et de la critique, positive ou négative soit-elle.

  • Cette pandémie de 2020 se prête à tant de scénarios n’est-ce pas!

Oui. La réalité a dépassé la fiction. J’image qu’il va y avoir beaucoup de films qui vont s’inspirer de cette période. Pour ma part ce n’est pas tout à fait le cas, même si mon court-métrage rentre dans un contexte catastrophe, car le film se passe dans un village qui a déserté à cause d’un événement surnaturel. D’une certaine manière, on s’inspire toujours de la réalité mais ce qui est intéressant c’est de questionner le futur par rapport à ce que nous vivons aujourd’hui.

  • Nous avons le sentiment que les grands cinéastes sont visionnaires, le cinéma a en effet cette puissance de faire et défaire le monde?

Les cinéastes en général ont envie de dire des choses qu’ils ressentent et de questionner la société pour un meilleur futur. C’est ainsi pour ma part que j’aborde mon travail cinématographique. Tous les cinéastes ou écrivains qui ont su être visionnaires, ont en fait, tout simplement bien analysé le présent.

  • Quel exercice préférez-vous, rendre la réalité fiction ou rendre la fiction réalité? La fiction dans le cas de « Qu’importe si les bêtes meurent » pourrait sublimer une réalité malheureuse?

« Qu’importe si les bêtes meurent » c’est avant tout un film de science fiction : Comment l’arrivée d’Aliens bouleverse les croyances et habitudes de personnages, même si le cadre est réaliste, j’y ai mis une dimension de science fiction poétique. L’idée c’est de s’inspirer du réel mais d’être dans un langage cinématographique fort et de faire du vrai cinéma. C’est ce genre de films que j’ai envie de faire, en dehors des schémas classiques de documentaires ou de fictions très ancrées dans le documentaire. C’est le mariage des deux qui m’intéresse.

  • Vous disiez dans une vidéo de remerciements aux organisateurs d’un festival international qui vous a honoré d’un prix prestigieux, que vous vous sentiez « petite fille dans sa chambre entrain de rêver », le cinéma pour vous a commencé ainsi?

Le cinéma pour moi n’a pas commencé comme un rêve de petite fille. J’ai beaucoup voyagé avec mes parents quand j’étais jeune, ils étaient toujours avec leur copains et du coup je me retrouvais seule. Pour m’occuper un peu lors de ces voyages, mon père m’a offert une caméra. Cela développe l’imaginaire, c’est un peu ainsi que j’ai plongé dans le cinéma, pas en rêvant dans ma chambre. Bien au contraire, j’étais une enfant qui était souvent dehors, qui s’amusait toute seule avec sa caméra et son environnement pour faire des films ; une enfant qui n’a d’ailleurs jamais cessé de jouer. Je continue de jouer en faisant des films.

  • Vos parents semblent heureux de vous voir épanouie dans un métier qui vous passionne, c’est important d’avoir leur bénédiction?

Nous sommes dans une société particulière où les métiers artistiques ne sont pas encore vraiment valorisés. On aspire toujours à avoir des enfants qui suivent une voie classique, de bonnes études et dès lors que l’on est différent et qu’on ne réfléchit pas comme tout le monde, ça fait un peu peur aux parents. Mon père aujourd’hui, commence à comprendre un peu ce que je fais, pendant dix ans ce n’était pas le cas. Ce sont des métiers où on a souvent pas de bureaux, on évolue souvent seuls, on gère notre emploi du temps de façon indépendante. Forcément quand les enfants de ses amis sont à la banque et qu’ils ont des horaires fixes et des vacances programmées, ce mode de vie libre avec une autodiscipline, peut inquiéter les parents. Alors ce n’est pas tant de la bénédiction, c’est un peu de reconnaissance qui rassure toujours. J’ai fait ce que j’avais envie de faire et mes parents sont contents aujourd’hui. Ils ont compris que je n’étais pas la glandeuse derrière son ordinateur à trainer sur Facebook.

  • Que vous apporte ce confinement passé au Maroc?

Une bonne période productive et propice à la réflexion, une résidence forcée d’écriture. Le confinement est tombé avec la sortie de mon court-métrage et en temps normal, j’aurais beaucoup voyagé pour présenter le film. L’isolement m’a permis d’écrire et j’ai pu développer très rapidement mon scénario de long-métrage, une adaptation du court, qui j’espère aura des financements et sera tourné l’année prochaine.

  • Vous êtes nominée aux César, la distinction française la plus importante après Cannes, ce serait un jour spécial avec une belle robe, un tapis rouge, un discours…?

Les César c’est une histoire de lobbying! C’est génial pour moi d’être en sélection officielle mais avant de penser à la robe, au tapis rouge et au discours, il faut travailler à faire connaitre le film à un maximum de gens. Il y a 4000 membres qui votent et il faut susciter l’intérêt surtout vers un court-métrage et encourager un jeune réalisateur. Je suis heureuse que le film se fasse une voie, mais le gros challenge reste les Oscars, cela demande une grosse mobilisation!

  • Penseriez-vous un jour être muse de vos films? Les incarner en figurante ou en personnage principal?

Beaucoup de réalisateurs ont cette velléité d’être acteur mais pour ma part j’adore travailler avec des personnages, des acteurs. De toute façon je m’inspire beaucoup de ma vie, de moi-même, des questions que je peux avoir en tant qu’individu dans mes films. Que je parle d’un berger dans l’Atlas ou d’Aliens, je puise souvent dans moi-même, même si ce n’est pas toujours flagrant.

  • Une femme cinéaste, ce n’est plus aussi rare chez nous, mais Il y a encore des inégalités à rétablir, dans les plus grandes industries du cinéma au monde d’ailleurs?

Des femmes cinéastes, de plus en plus au Maroc, à fortiori talentueuses et reconnues, se sont illustrées lors des grands festivals de cinéma internationaux. Des réalisatrices marocaines à l’instar de Meryem Benm’Barek pour son film Sofia, de Maryam Touzani pour Adam, représentent dignement notre Nation. Des femmes confirmées à la personnalité forte et ambitieuse, très engagées en général mais qui ne sont pas suffisamment valorisées. Ceci dit la place de la femme au Maroc est très compliquée, surtout dans le milieu du cinéma et quand on est réalisatrice.  L’ancienne  génération entretient des rapports assez compliqués, limite misogynes. Une femme forte qui dirige et qui en impose, m’impressionne toujours. Il a fallu que je sois un peu reconnue à l’Étranger pour que je puisse parvenir à travailler ici. Etre blonde aux yeux clairs, plutôt mince, m’ a plus tôt desservie et a réduit ma crédibilité en tant que réalisatrice ayant fait le choix de le devenir et d’en faire mon métier. Pour les financements, c’est toute une autre histoire! Il reste beaucoup à faire afin de briser cette fâcheuses manie liée aux images stéréotypées du macho, viril, la cinquantaine passé avec son gros cigare, acquis d’entrée à tout credit de confiance. Je vous laisse imaginer mon chemin de croix en tant que femme cinéaste au Maroc ! On ne fait pas encore confiance aux femmes en terme de financement et c’est trop dommage. Même si mon film a eu une reconnaissance internationale.

 

  • La crise sanitaire a fait reculer le féminisme dans le monde, dites-vous tant mieux le féminisme rend la femme victime et la stigmatise plus, ou alors vous soutenez que le féminisme est un combat lucratif pour la cause de la femme et qu’il ne faut pas baisser les bras et la garde? Quel est dans ce cas votre féminisme à vous?

Le féminisme est un gros mot qui n’est absolument pas apprécié aujourd’hui alors que tout le monde devrait être féministe à la base. Le féminisme c’est tout simplement de considérer la femme égale à l’homme. On ne devrait pas faire un combat pour prendre une place qui est légitime. Ceci dit c’est grâce à une Greta Thunberg et d’autres femmes engagées et féministes que des grandes causes comme l’écologie par exemple avancent. Unis dans le combat et dans la concorde, pour bousculer, changer les choses et faire réagir, c’est bien possible.

  • Qu’a forgé en vous votre expérience en Chine? D’autres grandes aventures et voyages?

C ‘est en Chine que j’ai commencé à faire des films. J’y ai vécu six ans avec mes parents. Nous faisions le tour de l’Asie. Le fait de rencontrer plein de gens de pays différents, de vivre des histoires différentes, ça ouvre l’esprit et nourrit l’imaginaire.

  • L’année s’achève bientôt, une pensée pour 2020?

Ce n’est une année facile pour personne, elle a totalement dépassé la réalité, elle devrait nous ouvrir l’esprit aux catastrophes qui pourraient nous menacer, écologiques peut-être, à faire plus attention aux discours alarmistes, agaçants à écouter, car ils nous sortent de nos zones de confort, ils sont nécessaires en tous les cas pour une remise en question d’un certain mode de vie qui ne peut plus perdurer aujourd’hui.

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