Loubna et Moulay Hicham Guennoun nous content leur passion pour le monde rural marocain

Nous faisons de belles rencontres dans notre métier de raconter des histoires. Celle des Guennoun vous propulse au 7ᵉ ciel avant de vous poser en douceur sur les terres de notre identité commune, évitant plusieurs crashes ! Lors d’une home story à Casablanca, ce couple, uni depuis 1990 malgré leurs différences, nous parle de leurs trajectoires de commandants de bord et de leur ONG dédiée au monde rural.

« La conquête des territoires est une science »

Moulay Hicham et Loubna Guennoun dans leur maison de Casablanca pour nous recevoir et nous parler de leur aventure dans le monde rural du Maroc. Le couple vit aussi dans le fin fond du Sud du Maroc

Depuis le séisme d’Al Haouz, nous révélons des initiatives uniques et des personnalités exceptionnelles. Lors du Forum WeXchange 2023 sur l’innovation sociale, nous avons rencontré les lauréats du Prix de l’Inclusion : les pilotes fondateurs de l’ONG “We Speak Citizen”. Leur histoire, digne d’un conte, rappelle Saint-Exupéry et son Petit Prince à Tarfaya. À l’image de l’aviateur inspiré par le désert marocain, Moulay Hicham et Loubna Guennoun, portés par leur passion pour le monde rural, ont réalisé leur rêve en construisant leur maison de l’oralité à Ksar Aït-Benhaddou, dans la région de Ouarzazate. Leur engagement vibrant est une ode à la fierté, à l’autonomie et à la prospérité de la campagne marocaine. Chaque pierre ajoutée à cet édifice symbolise un pas vers un avenir florissant pour les villages du Maroc et l’humanité entière.

  • Le social, c’est tout un monde, comment l’avez-vous abordé ?

Loubna Mouna. Cela fait 33 ans que je suis engagée dans le monde associatif, en parallèle de mes débuts à l’école de pilotage. Avec mon mari, nous avons créé l’ONG “We Speak Citizen” il y a sept ans. Notre mission repose sur une observation simple : “Comment les citadins peuvent-ils être utiles au monde rural ?” Nous avons ressenti une connexion profonde avec ces communautés qui nous accueillaient chaleureusement. Notre démarche consiste à valoriser l’identité des individus et leurs savoirs locaux plutôt que leurs besoins matériels. Depuis 2016, nous avons accompagné 200 entrepreneurs et créé sept tiers-lieux. Nous cherchons à révéler les talents et sublimer les territoires pour construire un avenir durable.

  • Selon vous, ville et campagne devraient-elles faire qu’un ?

Loubna. Ville et village abritent des réalités contrastées mais complémentaires. Il est crucial d’encourager les alliances pour un avenir commun. La fracture entre les mondes urbain et rural s’atténue à travers des modèles plus harmonieux. Ces territoires interdépendants doivent communiquer, et notre rôle est de catalyser cette intelligence collective pour des initiatives collaboratives.

Loubna Mouna dans son salon à Casablanca, élégante dans une gandoura traditionnelle (Photo : Kamal Harakat)
  • Nous avons envie d’en savoir plus sur vos fameux voyages apprenants

Loubna. Ces voyages offrent une immersion unique où les participants découvrent des paysages incroyables et des personnes inspirantes. Ils sont guidés par des universitaires et mêlent science et tradition à travers des contes et des activités. Cette fusion permet de construire un Maroc fidèle à ses racines et tourné vers l’avenir. Ces expériences renforcent la connexion avec le patrimoine et encouragent les jeunes à développer leurs talents sans quitter leur pays.

  • C’est quoi la Maison de l’Oralité ?

Loubna. La transmission orale est vivante en Afrique et universelle. À son inauguration en 2022, nous avons découvert une dimension spirituelle attachée à l’oralité, dans les gestes et les paroles qui nous relient au divin. Elle valorise notre identité marocaine, à la fois ancrée dans le présent et en harmonie avec la nature.

  • Tout cela n’est pas enseigné par la science ?

Loubna. La science laïque enseignée aujourd’hui semble froide et déconnectée. À l’époque des Medersas, les jeunes garçons apprenaient le Coran et choisissaient ensuite une carrière selon leurs aptitudes : astronomie, mathématiques ou agriculture. Cette approche intégrée mériterait d’être revisitée pour nos jeunes.

« Ces voyages offrent une immersion unique où les participants découvrent des paysages incroyables et des personnes inspirantes. Ils sont guidés par des universitaires et mêlent science et tradition à travers des contes et des activités. Cette fusion permet de construire un Maroc fidèle à ses racines et tourné vers l’avenir »

Moulay Hicham Guennoun, un artiste autodidacte
  • Comment sensibiliser la génération Z ?

Hicham. À travers notre association, nous avons lancé des ateliers de dialogue dans les régions rurales, représentant 50 % de la population marocaine. Ces ateliers favorisent l’émergence d’idées de projets en agriculture, tourisme durable ou entrepreneuriat féminin, s’inspirant des anciennes traditions communautaires.

  • Quels sont vos formats de transmission ?

Depuis 2018, nous utilisons reportages, photos et podcasts pour préserver et partager notre patrimoine oral. Ma plus grande satisfaction est de voir des jeunes filles passer du temps à la Maison de l’Oralité. Chaque espace culturel marocain devrait avoir un lieu dédié à cette expression pour reconnecter nos jeunes à leur identité.

  • Hicham et Loubna, qui êtes-vous ?

Loubna. Il y a sept ans, je me serais présentée comme Loubna Mouna, commandant de bord avec trente ans d’expérience. Aujourd’hui, je me vois comme Bent Hmed et Zahra, profondément connectée à mes ancêtres et à l’histoire collective du Maroc. Cette quête m’a appris que nous partageons tous des racines communes.
Moulay Hicham. Je suis Hicham Guennoun, le compagnon de Loubna. Notre quête identitaire m’a révélé que je ne suis pas un “pur Marrakchi” mais un Marocain façonné par des récits communs. En explorant mes origines, j’ai découvert la richesse de notre histoire collective, mêlant Amazighs, Arabes et autres cultures.

  • Votre métier de pilote vous a-t-il donné cette vue d’en haut ?

Moulay Hicham. Nos missions en Afrique nous ont permis de constater des similitudes avec nos propres campagnes. Cela nous a appris que les problèmes humains et environnementaux sont universels. Je me vois comme un ouvrier dans l’effort de reconstruction globale.
Loubna. Mon métier m’a permis de voir la diversité culturelle et les impacts climatiques. Cette expérience m’a convaincue de l’urgence d’agir contre l’uniformisation des cultures et de préserver notre identité.

  • Parlez-nous de votre connexion ?

Moulay Hicham. Je suis tombé amoureux dès le premier regard. Nos différences enrichissent notre relation. Depuis nos 20 ans, nous avons toujours voulu changer les choses ensemble.

Loubna. La première fois que je l’ai vu, je me suis dit : « C’est lui ! » Bien que nos familles soient très différentes, notre union a été un pont entre deux cultures marocaines, mêlant modernité et tradition.

« Il y a sept ans, je me serais présentée comme Loubna Mouna, commandant de bord avec trente ans d’expérience. Aujourd’hui, je me vois comme Bent Hmed et Zahra, profondément connectée à mes ancêtres et à l’histoire collective du Maroc. Cette quête m’a appris que nous partageons tous des racines communes»

Moulay Hicham et Loubna Guennoun dans leur maison de Casablanca pour nous recevoir et nous parler de leur aventure dans le monde rural du Maroc. Le couple vit aussi dans le fin fond du Sud du Maroc
  • Quels sont vos projets culturels ?

Loubna. Moulay Hicham traduit les poèmes de Mririda N’Aït Attik en darija et en amazigh. Elle a chanté l’amour, le deuil, la nature, et la rébellion, mais son œuvre reste méconnue dans sa langue originelle. Nous voulons redonner vie à ce patrimoine.
Moulay Hicham. Pour moi, traduire Mririda, c’est redonner une voix à une culture riche mais souvent marginalisée, et célébrer la beauté de nos racines communes.

  • Comment avez-vous développé cette démarche intellectuelle de la Darija ?

Moulay Hicham. La Darija est une part essentielle de notre culture et patrimoine. J’ai grandi à Marrakech, où j’ai appris à jouer et chanter, inspiré par des groupes comme Jil Jilala, qui intégraient une Darija riche et poétique. Ces expressions sont des clés pour comprendre notre identité, mêlant sentiments et métaphores dans la tradition orale.

  • Des ONG, il y en a au Maroc. Quelle est votre ADN ?


Loubna. Nous savons communiquer avec des publics variés, des bergers aux décideurs. Par exemple, au Village Solaire d’Essaouira, nous avons montré que l’écoute et l’adaptation priment sur le financement seul. Nous avons modernisé des techniques comme le tataoui pour allier tradition et innovation.

  • Vos actions répondent-elles aux besoins des villages d’Al Haouz ?

Moulay Hicham. Reconstruire en béton rapide est une erreur. Respecter l’architecture locale valorise l’écosystème et l’esthétique. À Tata, un centre prouve que matériaux et savoir-faire locaux permettent des constructions modernes. À Aït Ben Haddou, notre maison pilote, érigée en six mois, montre que les habitants peuvent eux-mêmes reconstruire, épaulés par des architectes spécialisés.

  • Devenir pilote fut-il un choix ?

Loubna. Dès l’âge de 7 ans, lors de mon premier vol, j’étais fascinée. En classe préparatoire, découvrant que des femmes marocaines pilotaient, un déclic s’est produit : c’était évident, je devais devenir pilote.

« Nous avons acheté et restauré une maison en ruines en six mois, en utilisant des matériaux locaux. Cela a inspiré les habitants à rénover leurs maisons, prouvant que ces techniques simples et esthétiques permettent des constructions durables, en harmonie avec leur environnement »

Moulay Hicham et Loubna Guennoun dans leur maison de Casablanca pour nous recevoir et nous parler de leur aventure dans le monde rural du Maroc. Le couple vit aussi dans le fin fond du Sud du Maroc
  • Comment votre famille a-t-elle réagi ?

Loubna. Mon père, bien que surpris, m’a finalement soutenue. Ma mère, inquiète, s’y est opposée, allant jusqu’à menacer de confisquer mon passeport. Mais ma détermination a triomphé.

  • Et vous, Moulay Hicham ?

Moulay Hicham. Le pilotage, je l’ai découvert en entrant à l’école de pilotge de Marrakech. Ensuite, je me suis engagé dans des projets associatifs et des plateformes de dialogue entre acteurs aéroportuaires. Ce qui m’a fasciné, c’est la diversité des métiers et la coordination nécessaire pour faire fonctionner cet écosystème complexe.

  • Votre relation a-t-elle influencé vos projets ?

Moulay Hicham. Absolument. Nos différences se complètent : Loubna est audacieuse, je suis plus structuré. Cela nous a permis d’évoluer individuellement tout en avançant ensemble. Nos initiatives comme We Speak Citizen ou la maison d’Aït Ben Haddou, surnommée la “Ruche Citoyenne”, sont le fruit de cet équilibre.

Loubna. Pendant deux ans, nous avons consacré 500 heures à écouter les habitants, révélant une richesse cachée : poésie, jeux traditionnels, artisanat. Ces échanges ont été essentiels pour co-construire des solutions respectueuses de leur culture et de leur patrimoine.

  • Quelle a été votre première pierre posée dans la région ?

Loubna. Les architectes ont insisté sur l’urgence de préserver le Ksar d’Aït Ben-Haddou, inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO. Menacé après les intempéries de 2014, il nécessitait plus qu’une restauration des façades : il fallait revitaliser les maisons pour empêcher leur dégradation. Avec 24 architectes de Rabat, nous avons organisé des ateliers avec les habitants, créant l’ONG WSC et présentant le projet « Le village durable des Aït » à la COP 22 en 2016.
Moulay Hicham. Nous avons acheté et restauré une maison en ruines en six mois, en utilisant des matériaux locaux. Cela a inspiré les habitants à rénover leurs maisons, prouvant que ces techniques simples et esthétiques permettent des constructions durables, en harmonie avec leur environnement.

  • Trente années, c’est assez pour agir, n’est-ce pas ?

Loubna. On peut construire une maison en terre en deux mois avec des matériaux simples. L’architecture vernaculaire marocaine est unique et reconnue dans les écoles d’architecture, mais elle n’est pas assez protégée.
Moulay Hicham. Pourtant, les autorisations imposent des plans en béton armé. À Tata, nous avons construit un bâtiment en terre qui reste confortable, même face aux températures extrêmes. L’État devrait restaurer quelques bâtiments en terre comme exemples, sinon ce patrimoine disparaîtra dans dix ans.

  • Des solutions ?

Loubna. L’État doit promouvoir ces constructions pour soutenir les savoir-faire locaux. La France valorise ses traditions, pourquoi pas nous ?
Moulay Hicham. Nous voulons montrer qu’il est possible de reconstruire rapidement avec des matériaux locaux, en impliquant les habitants. Ces projets créent des opportunités économiques et redonnent espoir, aidant à stabiliser les populations locales.

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