Né à Rabat, bercé par le bruit des vagues et l’odeur enivrante des orangers, Fady Alaoui a grandi au cœur d’une famille où la cuisine était bien plus qu’un art : un héritage. Marqué par les tablées généreuses de son enfance, où se mêlaient recettes ancestrales et amour du partage, il a naturellement suivi le chemin des saveurs. Pourtant, avant de consacrer sa vie aux fourneaux, il a d’abord exploré d’autres horizons, voyageant à travers le monde et façonnant son regard sur la gastronomie. De la finance aux cuisines, son parcours est une quête d’identité culinaire, un subtil équilibre entre respect des traditions marocaines et réinterprétation audacieuse. Son talent et sa vision l’ont mené jusqu’à Top Chef, où il a su imposer sa créativité et son attachement aux produits authentiques. Avec son concept Tukone, il réinvente les classiques en sublimant les épices et les arômes emblématiques du Maroc, leur offrant une nouvelle lecture, moderne et raffinée.
Dans cette interview, il se confie sur ses inspirations, son attachement au patrimoine culinaire marocain et sa volonté de transmettre, à travers ses plats, une histoire où se mêlent souvenirs d’enfance, rencontres et créativité. Et pour l’Aïd qui approche à grand pas, il nous partage quelques recettes originales et conseils gourmands pour célébrer cette fête avec générosité et saveurs !

- Vous avez grandi à Rabat, dans une maison où la cuisine était un langage d’amour et de partage. Quels souvenirs olfactifs ou gustatifs de votre enfance ont été les premiers à éveiller en vous cette passion pour la gastronomie ?
Je suis né à Rabat, mais mon enfance s’est déroulée entre la mer et la terre, à Temara, cette plage située entre Rabat et Casablanca. J’ai grandi bercé par le bruit des vagues, l’odeur iodée de l’océan et la richesse de la nature environnante. Un souvenir olfactif marquant reste l’entrée de notre maison familiale, celle où je suis né il y a 32 ans et où mes parents vivent encore. Juste devant la porte trône un magnifique oranger à fruits amers, côtoyant un olivier centenaire. La fleur d’oranger, avec ses effluves enivrants, est omniprésente dans mon souvenir d’enfance. Elle parfume l’air, s’invite dans les rituels de beauté, mais aussi dans la cuisine marocaine. C’est un ingrédient qui ne m’a jamais quitté et qui inspire encore aujourd’hui ma cuisine. Je suis un cuisinier porté par le salé, mais lorsque je travaille des desserts, je préfère substituer le sucre par des notes florales. Un de mes classiques revisite le tiramisu en remplaçant le sucre par de la fleur d’oranger, le chocolat par de la cannelle, et en y ajoutant un zeste d’orange amère ainsi que quelques fleurs d’oxalys pour une touche d’amertume. Un dessert sans sucre, mais qui sublime la puissance des arômes naturels.

- De l’Espagne à l’Asie, en passant par la Belgique et la Suisse, vos voyages ont nourri votre regard sur la cuisine. Quel ingrédient, quelle technique ou quelle rencontre a marqué votre manière de sublimer aujourd’hui la cuisine marocaine ?
Si ma cuisine est une histoire de voyages et de rencontres, elle est aussi, avant tout, une affaire de famille. Comme dans de nombreux foyers marocains, la transmission culinaire est essentielle. J’ai eu la chance de grandir dans un environnement où la cuisine était bien plus qu’un simple acte quotidien : c’était un héritage, une passion partagée. Ma grand-mère était cheffe, mon oncle l’est aussi, et un autre membre de ma famille, aujourd’hui disparu, a dévoué sa vie à cet art. Au Maroc, la cuisine rythme nos événements et nos traditions : le couscous rassemble les vendredis, la jaouhara célèbre les mariages, le boulfaf est incontournable pour l’Aïd, et la rfissa réconforte les femmes après l’accouchement. C’est un véritable patrimoine social.Notre cuisine est infiniment riche et, malgré mes recherches et explorations, je suis loin d’en connaître toutes les subtilités. Chaque région, chaque famille, chaque mère y apporte sa touche unique, ses secrets bien gardés. Les femmes, gardiennes de nos traditions culinaires, ont su y insuffler une part de magie, transmises de génération en génération.

- Avec votre concept Tukone, vous proposez une vision contemporaine de la gastronomie marocaine, en la réinterprétant à travers vos expériences et les tendances actuelles. Comment parvenez-vous à insuffler votre propre identité tout en préservant l’âme d’un héritage aussi riche ?
Lorsque je revisite un plat, je veille toujours à respecter son essence. Jamais je ne mangerais une kefta avec du ketchup (rires) ! J’aime créer des alliances subtiles entre les saveurs marocaines et mes influences de voyage. Par exemple, la culture indienne du curry et notre tradition du tajine reposent sur des bases similaires : ail, oignons, épices comme le gingembre ou le paprika, avec des proportions différentes. La seule différence notable est leur goût plus marqué pour le piment. En Asie du Sud-Est, ils adorent braiser leurs viandes avec un mélange de coriandre et de racines de coriandre, une technique qui résonne avec notre usage intensif des herbes. C’est pourquoi, dans mes créations, mes associations culinaires se rapprochent souvent plus de l’Asie que de la cuisine européenne.

- Le Ramadan est un moment de partage et de générosité, et la fin de ce mois sacré est souvent l’occasion d’un repas festif. Pour celles et ceux qui voudraient célébrer cette journée avec un brunch ou un déjeuner savoureux, quelles saveurs recommanderiez-vous pour prolonger la douceur de ce moment ? Des recettes en particulier à partager ?
Pour un brunch original inspiré des saveurs marocaines, surtout pendant l’Aïd, je conseille un pain perdu salé. Pendant le Ramadan, nos tables sont souvent surchargées, et cette recette permet de valoriser les restes, en accord avec l’esprit de partage et d’humilité propre à cette période. Le pain perdu, à l’origine une recette française conçue pour ne pas gaspiller le pain rassis, prend ici tout son sens. Pour le préparer, il suffit de tremper des tranches de pain (ou de brioche, encore plus gourmand !) dans un mélange de lait et d’œufs battus, avec une pointe de cannelle. Pas besoin d’ajouter de sucre. Ensuite, on badigeonne le pain du mélange et on le fait revenir dans une poêle bien chaude avec un filet d’huile d’olive. Pour l’accompagner, une kefta de bœuf aux épices avec un oignon, façonnée en petit cercle. Un peu d’oignons caramélisés en plus, et vous obtenez un plat à la fois nourrissant, parfumé et parfaitement équilibré. Servez-le avec une salade marocaine fraîche pour un résultat encore plus savoureux !
- Vous maniez les épices comme un peintre joue avec ses couleurs. Si vous deviez choisir une seule épice ou un seul ingrédient qui incarne à vos yeux l’âme de la cuisine marocaine, laquelle serait-elle et pourquoi ?
Si je devais choisir deux ingrédients représentant notre gastronomie, ce serait sans hésitation le citron confit et la fleur d’oranger. Le premier est un incontournable de notre cuisine, un ingrédient unique que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. J’adore également le zaatar, une herbe aux multiples facettes.

- Enfin, votre parcours est celui d’un rêveur audacieux, qui a troqué les chiffres pour les saveurs. À un(e) jeune chef(fe) ou entrepreneur(e) marocain(e) hésitant à suivre sa passion, quel serait votre message ?
La patience est essentielle. Peu de succès se construisent du jour au lendemain. Le chemin est parfois long, jalonné de hauts et de bas, mais c’est ce parcours qui nous permet d’ajuster notre vision et de nous améliorer. Il faut croire en ses rêves, s’accrocher avec une pointe de naïveté et s’entourer des bonnes personnes. L’investissement humain est aussi important que l’investissement matériel. La restauration est un monde exigeant, proche de la rigueur militaire, où l’erreur n’a pas sa place. Pour réussir, il faut être certain de son engagement et s’y investir à 2000 %. Restez confiants, croyez en vous, et Inchallah Kheir !