Dans La Damnée, Ouidad Elma incarne une sorcière mystique, ancrée entre Tanger, la France et Marrakech. Mais au-delà de l’écran, son identité marocaine nourrit un univers singulier, où cinéma, mode et nature se rencontrent. Entre héritage et modernité, la belle actrice façonne une esthétique envoûtante qui intrigue et captive. Dans cet entretien, elle nous dévoile ses inspirations, son rapport aux traditions et la manière dont son parcours façonne son art.

Ouidad Elma, actrice aux multiples facettes, nous invite à découvrir son univers intime. Ayant grandi entre Tanger et la France, elle a choisi de s’ancrer dans la nature luxuriante de l’arrière-pays de Marrakech. Ce nouvel environnement, mêlant authenticité, silence et énergie des montagnes, l’a aidée à se reconnecter à l’essentiel et à nourrir sa créativité. Son dernier film, dans lequel elle incarne une sorcière au pouvoir libérateur, illustre parfaitement cette transformation personnelle et artistique. À travers cet entretien, Ouidad partage avec nous ses réflexions sur le retour à une vie plus authentique, la puissance du cinéma et l’expression de l’identité marocaine, sans oublier sa passion pour la mode.
Vous qui avez grandi entre Tanger et la France, comment cette nouvelle vie dans l’arrière-pays de Marrakech a-t-elle transformé votre façon de voir le monde et de vous reconnecter à l’essentiel ?
J’ai découvert Marrakech sous un angle inédit, entre les montagnes majestueuses de l’Atlas et la ville vibrante. Cette immersion dans des espaces purs et énergétiques m’a permis de me ressourcer profondément, de renouer avec la nature et les traditions qui font partie intégrante de notre culture. Née dans les montagnes du Rif, me retrouver dans les montagnes du Sud est un retour aux sources brut et authentique qui enrichit mon identité.
Quels apprentissages tirez-vous de ce retour à une vie plus ancrée dans la nature, et comment cela nourrit-il votre créativité d’actrice ?
La nature m’offre l’espace et le silence indispensables à la créativité. Là, loin du tumulte urbain – que ce soit à Paris ou à Casablanca – je trouve un lieu de recueillement où les plus belles idées émergent. Cet environnement me transforme, me donne une clarté nouvelle dans mon travail, et modifie ma perception des rôles et des histoires que je raconte à l’écran.
À travers vos rôles, vous incarnez souvent des personnages forts et complexes. Pensez-vous que le cinéma peut réellement changer les mentalités ou ouvrir des dialogues sur des sujets essentiels ?
Pour moi la culture est nécessaire au collectif humain, c’est ce qui fait grandir une société. Le cinéma est, pour moi, un moyen puissant de briser les barrières et de toucher les cœurs. J’ai notamment choisi de sortir de ma zone de confort en incarnant une sorcière dans « La Damnée ». Ce personnage, loin d’être stigmatisé, représente une femme souveraine qui assume pleinement sa liberté. À travers ce rôle, je souhaite questionner les préjugés et ouvrir un dialogue sur des thèmes comme les traumas générationnels et la place de la femme dans la société.

Ce personnage de la sorcière, que représente-t-il pour vous dans la société marocaine ?
Pour moi, le terme « sorcière » n’a pas de connotation négative. Il désigne une femme en plein pouvoir, une guérisseuse qui assume son identité. La société nous a souvent cataloguées de cette façon pour tenter de nous contrôler. Mais je crois que chaque femme est, en réalité, une sorcière puissante, capable de transformer ses zones d’ombre en force et de créer un changement profond.
Un rôle ne vient jamais à toi par hasard !
Vous vous reconnaissez dans ce personnage ?
Toutes les femmes sont des sorcières ! C’est ce que dit le livre de Mona Chollet. L’autrice suisse parle de ces femmes de la Renaissance que l’on accusait de sorcellerie, censurées et réprimées, elles finissaient au bucher. Ces féminicides ont perduré pendant des siècles. On ne parle jamais de ces féminicides ni de ceux qui, dans l’histoire préislamique, consistaient à tuer des filles simplement parce qu’elles étaient des filles. Pourquoi ? Parce que les femmes ont un pouvoir : elles sont connectées au monde invisible, elles créent la vie, et c’est un pouvoir incroyable. Elles sont reliées au divin – l’utérus, c’est un portail connecté directement à Dieu – et cela fait peur au système, à la société. En fait, avoir la capacité de reconnaître son pouvoir en tant que femme et se dire « ok, j’ai ce pouvoir et je peux créer le monde que je veux avec tout l’amour et la bienveillance dont je dispose » est un pouvoir qui nous a été longtemps refusé. Je pense que le changement se fait naturellement et qu’il y a aujourd’hui une prise de conscience incroyable. Quand on m’a proposé ce film, j’ai dit, bien sûr, je veux le faire ; ce rôle est pour moi une libération, une véritable rencontre. Un rôle ne vient jamais à toi par hasard.
Comment avez-vous abordé vos débuts ?
Le réalisateur voulait me rencontrer à Casablanca, et j’avoue avoir eu un peu peur, car c’était la première fois que j’allais incarner un antagoniste. Toutefois, ce processus de transformation, qui m’a sortie de ma zone de confort, m’a enthousiasmée. Le personnage, appartenant à l’imaginaire et d’une dimension presque fantasmagorique, me permettait de toucher l’imaginaire collectif. C’était un super challenge, et j’ai perçu dans ce rôle un aspect profondément spirituel – merci à l’univers, merci à Dieu de me permettre d’explorer des espaces de jeu inédits qui ont débloqué beaucoup de choses en moi. »

Ce film vous a-t-il menée à changer de vie et à déménager ?
Totalement. Ce film m’a ouvert les yeux sur un monde invisible que l’on ne trouve pas dans les pays occidentaux. Marrakech, ville sainte fondée par la grande Zaynab, la porte des sept saints et du désert, est une ville amazigh ancestrale qui guérit par son énergie. J’ai su qu’il fallait que je sois là, que je reste ici. À chaque fois que je revois ce film, je ressens une peur profonde – non pas de l’écran, mais de moi-même, tant je suis émotive. Pour incarner ce rôle, j’ai dû puiser dans ma propre colère et déposer les traumas de ma lignée : ceux transmis par ma grand-mère, ma mère, et toutes ces déesses et guerrières qui, pendant des siècles, n’ont pas eu leur espace d’expression. Ce processus m’a permis de retrouver un équilibre, essentiel pour être d’abord au service de soi-même avant de servir les autres. »
Pourquoi vous ?
C’est l’univers qui voulait que ce rôle soit pour moi. Je pense que j’ai touché le réalisateur par mon histoire, et j’ai été fascinée par son intelligence et sa capacité à être authentique, à écouter son imaginaire – une véritable vieille âme. J’ai retravaillé avec lui pour son second film, « Killer Influence », diffusé sur Amazon Prime et Apple TV. Bien qu’il vive en France, il revient souvent ici pour sa famille. J’ai eu beaucoup de chance de le rencontrer : Abel est un génie. Il avait 22 ans lors du tournage de ce premier long métrage, et à 25 ans, il confirme déjà sa sensibilité rare. Cette rencontre a été touchante et a annoncé la couleur d’un nouveau chapitre dans ma carrière.
Quel message souhaitez-vous transmettre au public à travers votre art ? Voyez-vous une mission plus grande derrière votre carrière d’actrice ?
Je dis toujours aux jeunes – et aux moins jeunes – qu’il n’y a pas de règles fixes pour raconter une histoire. Le monde a soif d’histoires authentiques. Que vous soyez conteur ou cinéaste, il faut oser partager son vécu, car c’est ainsi que nous pouvons changer les mentalités et grandir collectivement. Mon art est ma manière de redonner la parole à ceux qui n’en ont pas toujours eu, de faire émerger la richesse de notre humanité. Le monde veut entendre des histoires, car conteur est le plus vieux métier du monde et ce métier est à la portée de tous. On se racontait des histoires, surtout à Marrakech, sur la place Jemaa-el-Fna, où l’on partageait des récits de notre humanité et de nos sociétés.

Votre ancrage à Marrakech vous inspire-t-il à explorer un cinéma plus terre à terre et authentique ?
Cet ancrage ici à Marrakech te donnera envie d’explorer un cinéma plus terre-à-terre, sans trop de filtres, d’effets spéciaux ou de fictions. Le monde entier vient à Marrakech ; c’est une porte d’entrée vers le monde, le Maroc est une terre d’accueil. J’ai commencé le cinéma jeune, par pure passion : je l’ai étudié, j’ai fait partie d’une troupe de théâtre et j’ai appris la méthode américaine de l’Actor Studio aux USA. J’ai aussi commencé à écrire, et j’apprécie énormément cette capacité à inventer quelque chose qui se trouve dans la tête, à le projeter sur une feuille blanche, puis à le matérialiser en une histoire vivante avec des êtres humains. Le processus est assez magique, presque divin : il part d’une pensée que l’on écrit…
« Le monde veut entendre des histoires, car conteur est le plus vieux métier du monde et ce métier est à la portée de tous. On se racontait des histoires, surtout à Marrakech, sur la place Jemaa-el-Fna, où l’on partageait des récits de notre humanité et de nos sociétés. »
Votre autre passion serait-elle la mode ?
La mode est pour moi une forme d’expression tout aussi puissante que le cinéma. J’adore les robes, car elles me permettent de me sentir à la fois féminine et libre. J’apprécie également les costumes, qui révèlent une autre facette de ma personnalité. Porter un vêtement, c’est comme se métamorphoser, c’est adopter une attitude différente qui reflète notre état d’esprit. La mode me permet d’incarner mon identité marocaine avec élégance, que je sois à Paris, à Londres ou ici, à Marrakech.

Porter un caftan sur le toit de M Avenue, dans cet espace où luxe et tradition se mêlent, a-t-il une résonance particulière pour vous ?
Le caftan est l’habit le plus noble et le plus élégant que le Maroc ait créé pour le monde. Il fait partie du riche patrimoine de notre pays. C’est l’une des cultures les plus anciennes au monde. Je suis fière de porter ce symbole de notre identité. Et je pense que toutes les femmes du monde peuvent arborer un caftan et ressentir cette grandeur. J’aime les caftans simples, en soie ou en mousseline, qui offrent de la légèreté et une liberté de mouvement. Cet habit incarne à la fois la tradition et la modernité, et je le considère comme une part essentielle de ma marocanité, où que je sois.
Si vous pouviez laisser une seule empreinte sur cette planète à travers votre vie et votre art, quelle serait-elle, et pourquoi ?
Je souhaite laisser une empreinte d’amour – l’amour de soi, l’amour de l’autre et l’amour divin. C’est une valeur qui guide chacun de mes choix. Mon prochain film, « L’Empreinte du Vent » de Laila Triki, en est un bel exemple. J’espère que mon travail continuera à inspirer et à rappeler à chacun qu’en partageant notre amour, nous pouvons transformer le monde.