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Le Bleu du Caftan

Lauréate du prix de la Critique FIPRESCI à Cannes pour son deuxième long métrage « Le bleu du caftan », Maryam Touzani continue son exploration du l’humain et sa quête nostalgique du Maroc d’antan où l’on prenait tout son temps à faire du beau et où les métiers nobles faisaient vivre. Rencontre avec une cinéaste au supplément d’âme. 

Maryam Touzani et Nabil Ayouch sur les marches de Cannes

  • Lors de la première du film, vous parliez du caftan de votre mère qui a plus de 50 ans et qui a été le point de départ du film. A quel moment vous vous êtes dit qu’il était possible de faire un film… ?

Cela a commencé pendant le tournage d’Adam. J’ai rencontré un homme dans la médina qui m’a beaucoup touché. J’ai ressenti des choses dans sa vie dont il ne parlait pas, des choses dans l’ordre du non-dit. J’ai imaginé sa vie, peut-être dans des faux raisonnements mais je sentais qu’il ne disait pas tout. Un homme marié, d’un certain âge. Il est venu semer une graine dans ma tête et il m’a ramené à des souvenirs d’hommes que je voyais sans vraiment voir quand j’étais petite. Des couples dont on parlait, quand le mari est homo, la femme le sait ou le sait pas. Et quand tu es petit, tu entends les choses sans les entendre. Tout ça est resté là, inconsciemment presque. Et puis il y avait ce caftan qui revenait dans ma vie. J’ai toujours été fasciné par ce caftan parce qu’il est tellement élaboré, tellement beau. Un caftan presque intouchable, qu’on ne pouvait pas voir pendant 2-3 ans, qui réapparaissait, qu’elle remettait. Je rêvais du jour où je pourrais le porter. Et le jour où je l’ai porté, j’ai ressenti quelque chose de très puissant. 

  • C’est pour cela qu’il y a une envie de raconter les métiers en voie de disparition ? 

J’ai toujours été sensible à tous les métiers qui disparaissent, à l’artisanat qui se perd. C’est vrai qu’avec le travail de mâalem, la question se posait de la transmission. J’ai commencé à en rencontrer plusieurs et de ce métier qui était en train de mourir. De la douleur que cela leur provoquait. J’ai eu la chance de porter ce caftan mais si ça se trouve, dans quelques années, le vêtement n’existera plus. Il défend un métier que j’ai envie de défendre aussi 

  • D’où vient cette nostalgie d’un temps que vous avez peu connu finalement ? 

Je ne saurais dire. J’ai toujours été comme ça. J’aime tout ce qui est ancien. Tout ce qui a une âme. J’adore les vieux livres. Je peux aller chiner, j’adore ça. Quand je cherche mes décors, c’est pareil. Je cherche toujours des lieux qui ont quelque chose en plus, des objets qui ont vécu. J’ai toujours été attirée par ça. Il y a quelque chose de naturel. C’est vrai qu’il y a quelque chose de l’ordre de la nostalgie et aujourd’hui je me pose la question du pourquoi. Souvent, parce que je sens qu’on est dans une société on l’on va trop vite. Et je n’aime pas aller trop vite, j’aime prendre le temps. Peut-être parce que je suis tangéroise ? (Rires). J’aime observer, j’aime regarder, j’aime prendre le temps tout simplement. Les Frères Karamazov , c’est un plaisir que de livre cet ouvrage même si massif mais j’aime me plonger dans quelque chose. Dans mes films, il n’y pas de portables ou de Tv. Même si c’est contemporain. Mais c’est un choix. 

  • Il y a la notion du temps mais aussi de l’espace. Le huis clos revient dans les deux films, dans des médinas où l’on ne sort pas… D’où vient cette notion de huis clos ?

Le huis clos est pour moi une façon de me rapprocher de mes personnages. J’aime être en immersion avec eux. Me couper du monde extérieur. Ce sont des personnages qui sont ancrés dans une réalité sociale qui va définir qui ils sont, définir leur lutte. Leur évolution. Et ce qui m’intéresse, c’est de voir ce qui se passe à l’intérieur. Cette intériorité me fascine. J’ai envie d’être avec eux. On a le bruit de l’extérieur, on ressent la proximité des voisins. Cette énergie collective où l’on vit tout ensemble. Et puis c’est contraignant parce que l’intimité n’existe pas. Halim vit en cachette, il a plein de choses à étouffer. Et même s’il y de l’intimité, tout est visible par l’autre. C’est cette dualité qui m’intéresse. 

  • Dans le film, la dimension émotionnelle est visible à l’œil nu, tel un personnage. Comment écrit-on l’émotion ?

En la ressentant tout simplement. Quand j’écris mes scénarios en général, je suis dans tous mes états. Je les vis. Je n’écris jamais en réfléchissant. J’écris, j’écris, j’écris. Je ne réfléchis pas les scènes. J’ai l’impression que les personnages ont leurs vies, et que je ne fais que les accompagner. Et j’ai l’impression de découvrir et d’apprendre des choses avec eux. C’est comme s’ils me tenaient la main. C’est très beau. Moi je suis juste à l’écoute. Je suis dans l’émotion pour écrire l’émotion, et ne pas essayer de l’intellectualiser. Dans l’écriture, je sais souvent ce que je veux. Comme ce ne sont pas des histoires à rebondissements, la tension émotionnelle est primordiale et je suis très attentive à cela. Même pendant le tournage. Afin de ne rien perdre de l’émotion. 

Maryam porte un caftan de sa maman, à la découpe rétro et aux finitions traditionnelles

  • Est-ce que beaucoup de choses changent entre l’écriture et le tournage ?

Il n’y a pas beaucoup de choses qui changent. On peut imaginer une scène d’une certaine manière. Et on peut la tourner, et se retrouver avec quelque chose de différent, qui va raconter quelque chose de plus puissant. Je suis très précise dans l’écriture, il n’y a pas en général d’improvisation mais quand il y a des choses qui arrivent, parce qu’elles doivent arriver, je suis à l’écoute. Je ne suis jamais dans la répétition de l’émotion. Jamais. J’aime beaucoup travailler les scènes en amont mais en discutant, pour comprendre. Pas en répétant. L’émotion, j’aime bien l’avoir au moment de tourner. Je vais aller la chercher à ce moment-là. Le spontané. 

  • Comment pensez-vous les acteurs, le casting ? Pour ce genre de personnages, il faut du viscéral, du brut … ?

Je savais pour Lubna. Il y a une puissance et une vérité chez Lubna. Il n’y a pas de demi-mesure. Elle avait envie de ressentir la mort dans son corps. Cette quête de vérité me touche. Pour un réalisateur, c’est un beau cadeau. C’est très rare. C’était un tournage très difficile pour elle, elle a fait face à la mort d’un proche et elle n’a rien lâché. C’est quelque chose de plus fort qu’elle. Pour Ayoub, il avait ce talent, cette passion, ce quelque chose en plus. Pour Saleh, j’ai fait un casting très large au Maroc et dans le monde arabe. A un moment donné, il a été question d’un comédien marocain mais je voulais un investissent total pour ce personnage. Finalement j’ai continué à chercher. J’ai rencontré Saleh et j’ai senti qu’il avait compris le personnage de Halim. Il n’est pas du tout dans la prestation. 

  • Il y a aussi beaucoup de pudeur dans la réalisation, dans les scènes. On ne montre presque rien …

Je voulais être dans l’émotion de cet homme, de ce qui le torturait, de ce qu’il cachait. A aucun moment, je n’ai eu besoin de montrer pour mieux raconter Halim. J’ai écrit les choses comme je le ressentais. Un homme derrière une porte montre plus, que de montrer. 

  • Comment ne pas tomber dans le cliché de la femme qui est dans le déni ? Cette histoire d’amour est bien réelle même si Halim ne l’aimera jamais comme une femme…

Elle le choisit parce qu’elle l’aime. Rien ne l’oblige à être avec elle. C’est quelqu’un de pur et de noble. Ils ont redéfini leur amour, le couple et ils ont réussi à trouver le bonheur. Elle part parce qu’elle doit partir. J’avais envie d’une remise en question de Mina, elle l’a protégé de la société. Comme une mère qui le couve. Et comme une mère au moment de mourir, elle se demande comment le laisser, est-ce qu’il est prêt ? Elle voit, que cette fois-ci il est amoureux. Et elle voit que Youssef est bon. Elle fait un geste d’amour, un dernier geste d’amour en l’intégrant. De laisser son mari heureux, c’est la plus belle chose qu’elle puisse faire. 

  • Le film est construit au fur et à mesure du travail du mâalem. Est-ce que c’était une évidence pour vous ?

J’ai toujours imaginé le caftan traverser le film, qu’il évoluerait en même temps qu’évoluerait l’histoire et les personnages. C’était ce bleu, ce tissu. J’avais envie de passer de cette matière fluide, à quelque chose qui prend forme. Quelque chose de concret. Qui se fait avec les trois. Quelque chose qui se fait à 3 mains. 

CANNES YA MAKAN : MARYAM TOUZANI ARBORE LE CAFTAN DE SA MÈRE

  • Vous devenez la réalisatrice des minorités quelque part …

Ce qui m’anime avant tout c’est l’humain. Je veux raconter l’humain à travers l’intime. J’aime être dans le quotidien de mes personnages, dans les petits gestes. J’aime raconter des personnages avant tout, et à travers un intime. Cela ne veut pas dire que je me ferme à cela. Ou que je n’irai pas en extérieur mais encore une fois je ne rationalise jamais. Je n’intellectualise pas. J’aime avoir le luxe de passer du temps avec mes personnages dans l’intimité. 

NABIL AYOUCH AU PLUS PRÈS DU CINÉMA MAROCAIN

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Magnifique Montée des marches pour le couple Nabil Ayouch et Maryam Touzani en ce samedi 28 mai 2022, jour de cloture du 75è Festival de Cannes. La réalisatrice dont le film est primé du prix de la critique Internationale (FIPRESCI) portait un caftan de sa maman.

Nabil Ayouch et Maryam Touzani aux cotés de lactrice Lubna Azabal, héroine du film « Le Bleu du Caftan »

Aux bras de son mari Nabil Ayouch, son grand amour, le papa de son fils et son mentor pour le cinéma, l’ex=journaliste, réalisatrice, scénariste et co=productrice a foulé le tapis rouge cannois de façon magistrale dans un caftan de sa maman. Sur les crépitements de flash sur celle qui a été honorée jeudi dernier d’une grande consécration inédite pour son pays et pour le cinéma marocain par le prix décerné à son film « Le Bleu du Caftan », celui qu’elle portait, était lui de couleur noir et or, à la découpe rétro et aux finitions traditionnelles, noué à la taille par un simple Majdoul, une toilette finement coordonnée au smoking parfait de son mari.

Maryam porte un caftan de sa maman, à la découpe rétro et aux finitions traditionnelles

Le couple Ayouch, par cette belle vitrine sexy et glamour d’un Maroc beau et brillant, a fait du caftan un bel étendard made in Maroc de liberté, de modernité et de force.

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De fil en aiguille, Maryam Touzani dresse un portrait plein d’humanité et de délicatesse d’un couple qui s’aime malgré la maladie, malgré l’identité non assumée. Malgré tout. Le Bleu du Caftan présenté dans la section « Un Certain Regard » est une œuvre qui tisse l’émotion à la caméra comme on tisserait un caftan traditionnel à la main. Bouleversant. 

Equipe du film « Le.Bleu du Caftan » @Christophe.Simon.AFP

Pour son deuxième long métrage et pour sa deuxième sélection à Cannes, Maryam Touzani choisit les traditions, la transmission, l’amour et la passion. Dans « Le Bleu du Caftan », la cinéaste marocaine puise dans la beauté et l’authenticité d’un vieux caftan de famille pour raconter le style, la grâce, la tristesse de voir un art ancestral disparaitre, la déchirure d’un amour interdit, d’un soi constamment caché. Dans cette deuxième œuvre, la cinéaste se révèle tout en continuant à braquer les projecteurs sur les minorités et les traditions qui se perd. Une Maryam Touzani nostalgique et passionnée qui pense sa narration tel un patron de caftan fait pour traverser le temps.

Le bleu de tes yeux

Halim et Mina sont unis par les liens sacrés du mariage sauf que Halim porte en lui un sacré secret. Halim est homosexuel. Malgré toute la tendresse et l’amour qu’il porte à sa compagne de vie, il vit ses moments de vérité dans un hammam, loin des yeux de la société. Quand Mina tombe malade, et que Youssef, un nouvel apprenti entre dans leur vie, le couple voit son équilibre chamboulé. La caméra de Maryam Touzani semble mue par un amour sincère de ses personnages, et une sensibilité bienveillante bienvenue. La réalisatrice puise dans la force et la passion d’acteurs qui crèvent l’écran. Saleh Bakri en couturier meurtri par la vie et l’enfance, qui a trouvé refuge dans un mariage de convenance qui l’apaise et le guérit malgré tout , est saisissant. Son mutisme en dit long, son corps parle pour lui, et ses gestes sont précis. Il campe brillamment un Halim d’une pureté rare même s’il se sent souillé, un artiste souvent incompris, un amoureux transit. L’acteur palestinien a fait un travail admirable sur la darija faisant tomber les barrières de la langue et nous laissant saisir par la magie du cinéma. L’exercice sera plus difficile pour Lubna Azebal mais son charisme, son jeu subtil et sa présence la sauvent. Un aura qu’elle offre à la caméra de la cinéaste marocaine, faisant de chacun de ses passages, un moment de grande sincérité et de grâce. Une grande actrice qui prouve encore une fois un autre visage et prouve qu’elle est multidimensionnelle. Le couple à l’écran fonctionne. Leur complicité à l’écran est d’une rare sincérité. La prestation du jeune Ayoub Missioui est à saluer. Touchant, sa présence est justesse et douceur. Un trio convaincant !

Equipe du film Le Bleu du Caftan

Sauver l’amour

La force du film réside dans une mise en scène certes classique mais efficace. Les personnages et leurs trop plein de sentiments, ou pas assez,  sont au cœur de l’intrigue et au corps de la caméra, souvent rapprochée, dans ce huis clos d’une médina dont on ne sort pas. Du magasin à la maison, sauf un moment dans un café d’hommes sera la seule respiration. Une scène forte sublimée par la suivante, celle  d’un contrôle de police dans les rues qui fera ressortir tout l’interdit imposé par soi avant d’être imposé par l’autre. Les moments forts du film font oublier les maladresses. L’histoire se tricote au fil des minutes, la tension émotionnelle se met en place comme on s’appliquerait sur une broderie qui nécessite du temps et de la patience. On ne perd jamais le fil et l’on est happé par le sensoriel. Le toucher du tissu, le goût des clémentines, la magnifique odeur des caftans , les couleurs des ornements, la musique des ruelles, la vapeur du hammam dont on se lasse pas tant les moments cachés sont exquis.  La grande force de ce film réside probablement dans le fait d’avoir réussi à mettre en avant les fêlures sans les rendre trop grossières, dans un grand-huit émotionnel maîtrisé de bout en bout , dont , même les lenteurs donnent une dimension sensitive au film. Une œuvre ouvertement bienveillante dont la fin courageuse conforte la magie du cinéma. Une œuvre libre dont le bleu est celui de la vérité, de la fraîcheur, et de la pureté.

Lubna Azabal Le Bleu du Caftan

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