Des Lions de l’Atlas aux Lionnes du cinéma, à chaque talent marocain son terrain pour rugir au royaume rouge et vert de toutes les étoiles made in Maroc. Le premier long métrage d’une réalisatrice marocaine nous invite à aller au cinéma avec la même Niya de Walid Regragui et sa team. « Reines », de Yasmine Benkiran, une cavale féministe drôle et décomplexée, pour tout le plaisir de voir un film!
« Reines » de Yasmine Benkiran vous met sur la route d’une fiction bien marocaine si désirée par la réalisatrice dont le talent livre une histoire sur fond d’une réalité qui a fait son chemin tout le long d’un road movie made in Maroc. Une réalité tantôt décomposée en images subliminales qui nous mettent en émotion, joie et bonheur de voir le Maroc vrai et authentique, à l’instar d’abord de ce camion si familier, puis de nombres d’éléments fondus brillamment dans l’histoire par la réalisatrice et scénariste Yasmine Benkiran. « Qui a voyagé au Maroc a rencontré des camions. Massifs, brinquebalants, tagués de message de « Bonne route » ou « Far West », ils gravissent les montagnes et semblent défier toute loi de gravité », explique la diplômée de Fémis Paris. « Enfant, j’ai beaucoup voyagé au Maroc, notamment avec ma mère, et j’ai passé du temps sur la route avec ces camions qui m’ont tour à tour effrayée et fascinée ». Un personnage à part entière que ce camion choisi avec brio par la réalisatrice, un vrai élément du patrimoine marocain résolument inscrit dans l’imaginaire collectif, « Choisir le camion a donc été un moment passionnant. Dès qu’en prenant la route, je photographiais les camions qui m’intéressaient. La créativité des chauffeurs qui décorent leur véhicule est inouïe. C’est drôle, kitch et joyeux. Chaque camion ressemble à son chauffeur : c’est un peu leur seconde maison. Mon choix s’est vite arrêté sur le Berliet grande masse qui semble surgir d’une autre époque et qui est en train de disparaître. Dans le film, il y a trois véhicules : un camion Berliet, une Mercedes 240 et une R12. Trois véhicules iconiques des routes marocaines et qui sont en train de disparaître. Ça m’amusait de jouer avec cette imagerie vintage et pop qu’on retrouve aussi dans d’autres motifs du film : les paraboles, les chewing-gums, le cahier magique d’Inès (cahier « le jaguar » qu’on avait tous dans les années 90). L’idée était de partir d’éléments populaires de la culture marocaine pour créer une iconographie ludique qui soit propre au film ». Donner une nouvelle vie à ces clichés marocains est le scénario fort de ce film bourré de symboles et de codes qui ne demandent qu’à être décortiqués. L’image de la femme est aussi un cliché dans le cinéma marocain, que la réalisatrice a voulu représenter autrement.
« Au tout début de l’écriture il y avait l’image prégnante de femmes au volant d’un camion – un désir de proposer d’autres représentations de femmes marocaines – et la volonté de réaliser un film en darija qui prenne ses distances avec le réel »
« Reines » raconte l’histoire de trois femmes à Casablanca au Maroc. Zineb (Nisrin Erradi) s’évade de prison pour sauver sa fille Inès (Rayhan Guaran) de la garde de l’État. Mais les choses se compliquent rapidement lorsqu’elle prend en otage la conductrice d’un camion, Asma (Nisrine Benchara). La police aux trousses, les trois femmes se lancent dans une cavale dangereuse à travers l’Atlas … Trois femmes plutôt qu’une, unies, soudées, solidaires, audacieuses, folles, dangereuses, humaines, déterminées, libres… « J’ai grandi à Rabat avec l’impression d’avoir eu comme choix d’une part des films où les étrangers vivaient des aventures extraordinaires et d’autre part des drames sociaux où les Arabes avaient des problèmes. Comme si parce que nous étions marocaines, nous n’avions pas le droit au romanesque, à la science-fiction, à l’aventure, au fantastique : à la fiction avec un grand F. Faire « Reines », c’était réaliser le film qui m’avait manqué ». Et c’est un film qui manquait bien au palmarès du cinéma marocain. Une oeuvre bien menée avec une belle maitrise technique, un genre protéiforme comme le décrit la cinéaste, aventure, action, fantastique, drame, et ce scénario si drôle, si léger qui saupoudre avec une touche rock cette réalité socio-dramatique si récurrente dans les oeuvres cinématographiques marocaines de tant de légèreté et de positivité, « J’ai écrit « Reines » avec la volonté de mettre au centre le plaisir du spectateur. Quand je dis plaisir, ça n’est pas forcément agréable, ça peut être douloureux ». Un plaisir partagé pour un premier film qui a été présenté à la Mostra de Venise en clôture de la semaine internationale de la critique et au festival du film de Marrakech. Un plaisir partagé par le public marocain qui découvrait aujourd’hui ce long métrage original, au dialogue presque délicieux dans un Darija parfois cru et des répliques qui deviendraient presque cultes, pourquoi pas ! des répliques drôles qui nous font sourire voir même rire et des fois aux éclats, comme cette réplique de l’inspectrice de police Batoul (Jalila Talemsi) à son coéquipier Nabil (Hamid Nider) « C’est la ménopause ! » qui a fait vibrer la salle du Mégarama ce 16 mai à la veille de la sortie en salles du film. « Je crois que le cinéma ainsi que toutes les formes de récit participent à fabriquer un imaginaire collectif qui forge la société. Pour citer la philosophe Teresa de Lauretes « Représenter le genre, c’est le construire ». Je suis convaincue que nous devons aujourd’hui proposer de nouveaux récits pour façonner un imaginaire plus inclusif ». Et le récit de « Reines » est un drame social positif, drôle et léger qui n’a rien de sombre, car il suggère qu’il n’y a rien à cacher de la société marocaine, ni de la condition de la femme, qui invite à une réflexion sur le genre, qui propose de méditer l’égalité homme/femme au Maroc. Le film de Yasmine Benkiran nous invite en somme au plaisir d’aller au cinéma !